Co-rédacteur
de Dissent et professeur de théorie politique au Baruch
College de la City University de New York. Auteur de The Wager
of Lucien Goldmann : Tragedy, Dialectis and a Hidden God, 1994.
Édouard
Bernstein, Les présupposés du socialisme
Tandis
que le Shah chancelait, Foucault prophétisait. Peut-être
cette révolution allait-elle démontrer « un
art de n’être pas gouverné », écrivait-il
à l’automne 1978. Les mollahs n’étaient
pas des « fanatiques », mais la voix de l’opprimé.
Un « gouvernement islamique », supposait-il, pourrait
susciter une nouvelle « spiritualité politique »
d’un genre inconnu en Occident depuis cinq cents ans (c’està-dire
depuis l’essor de la modernité). Regardez ces manifestations
! Une révolte contre « le système planétaire
» ! Contre l’« hégémonie mondiale
» ! Inspirée par une « religion de combat et
de sacrifice », la révolution iranienne pourrait
annoncer une « transfiguration » du monde. Et ces
femmes qui portent le voile – quelle impressionnante déclaration
politique ! L’ayatollah Ruholla Khomeiny ? Juste «
le point de fixation d’une volonté collective. »
Après
la chute du Shah, Foucault bafouilla. Les Iraniens, s’avérait-il,
devaient à nouveau être gouvernés. «
Procès sommaires », « exécutions hâtives
», c’était « alarmant », écrivit-il
dans une lettre ouverte à Mehdi Bazargan, premier ministre
nommé par Khomeiny, autrefois dans l’opposition,
avec lequel il s’était entretenu des événements
révolutionnaires. La nouvelle répression en Iran
« condamnait-elle » l’« ivresse »
de sa révolution, s’interrogeait Foucault à
voix haute, posant la question : « Dans l’expression
“gouvernement islamique”, pourquoi d’emblée
stigmatiser l’adjectif “islamique” ? Le mot
“gouvernement” suffit, à lui seul, à
éveiller la vigilance 1. » Foucault faisait ce que
les théoriciens postmodernistes (comme lui-même)
ont souvent dénoncé. Il accumulait certains développements
dans son propre macrocosme intellectuel, puis donnait son verdict.
S’il avait approché le « gouvernement islamique
» sur son propre terrain, il aurait commencé par
le refus classique dans l’islam de séparer le religieux
du politique – la notion, bien précisée par
Khomeiny, que « l’islam tout entier est politique
». Quelques années avant de parvenir au pouvoir,
Khomeiny avait en effet publié un livre intitulé
Gouvernement islamique. Bazargan, souvent présenté
comme un libéral musulman, se retrouva démis de
ses fonctions, neuf mois plus tard. Son gouvernement avait été
miné par des pouvoirs rivaux, aussi bien au niveau national
qu’au niveau local (le Conseil de la République islamique,
les comités révolutionnaires locaux). Ces pouvoirs
étaient en fait imprégnés d’une «
spiritualité politique », que d’autres auraient
simplement qualifié d’extrémisme fervent.
Il
s’avéra que Khomeiny était bien autre chose
que « le point de fixation d’une volonté collective.
» Et l’alternative, le cas échéant,
aurait encore été un certain type « gouvernement
». La seule question sérieuse qui se posait était
: de quel type ? Il est difficile d’imaginer comment quelqu’un
qui suivait les événements iraniens de 1978-1979
ait pu tout envisager en ce qui concernait leur issue, sauf un
panoptique. Mais, bon nombre de gens de gauche – Foucault
n’était pas seul – imaginaient autre chose.
Pour ceux qui vivaient hors d’Iran, une aventure spirituelle
était sans conséquences (comme cela avait été
le cas lors des aventures précédentes pour les stalinistes
ou maoïstes occidentaux). D’aucuns, certes, furent,
comme il convient, perturbés lorsque Khomeiny décréta
par la suite que Salman Rushdie devait être mis à
mort pour son imagination littéraire. La spiritualité
politisée peut, semble-t-il, être fort vigilante
– peut-être davantage que dans les régimes
disciplinaires que Foucault assimilait à la modernité
et aux Lumières.
Tours
et détours
Foucault
n’était-il qu’un bafouilleur et seulement cela
? Ou, étaitil, comme les postmodernistes aiment à
le dire, un symptôme ? Je suggère plutôt cette
dernière réponse. Il était et demeure un
symptôme de quelque chose de troublant dans le mode de pensée
de gauche qui mêle le postmodernisme, le tiers-mondisme
simpliste et les penchants intolérants. Le problème
se révèle souvent avec acuité lorsqu’il
est question du Moyen-Orient. Non que le Moyen-Orient soit l’unique
préoccupation de ce style de gauche. Ce n’est pas
le cas, encore qu’une agitation inhabituelle puisse être
détectée lorsque ce sujet est en cause. J’entends
seulement suggérer que, plus on déconstruit la façon
dont cette gauche tiers-mondiste/postmoderne traite de cette région
spécifique, plus cette contre-histoire est exposée
dans ses détails, plus on trouve dans sa pratique de la
polémique une méthode que j’appellerai «
tours et détours ».
On
tourne, on tourne ; on esquive en utilisant des formulations fongibles,
(interchangeables ?) et on évite les détails contrariants
– tout en accumulant à profusion les notes de bas
de page. On arrive finalement au telos – le jugement prématuré.
On montre que la responsabilité de tout ce qui est arrivé
de mauvais dans le Tiersmonde (ou la version postmoderne,
mondialisée de ce qu’on appelle le Tiers-monde) doit
en fait incomber à « l’Occident » ou
au « marché mondial ». On montre que toute
la responsabilité de ce que font les Palestiniens incombe
aux Israéliens. Les considérations complexes du
bien et du mal dans la politique de l’Occident ou du Tiers-monde
(ou en Israël et chez les Palestiniens) s’effondrent,
en même temps que l’intégrité de tout
ce qui peut être l’objet d’une évaluation
de la gauche.
Le
livre de Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, que je souhaiterais
étudier en détail, offre un exemple lumineux de
tours et détours. Ce volume ambitieux de près de
cinq cents pages a été traduit en plus d’une
dizaine de langues. Il exerce une influence sur les campus et
dans certains clans du mouvement anti-mondialisation. Il a même
été acclamé comme un Manifeste du parti communiste
de notre temps. Selon Hardt/Negri, « les luttes d’aujourd’hui
ondulent » comme un serpent, « à travers…
des paysages majestueux, superficiels. » Mais une simple
enquête montre que Hardt/Negri ne sont pas Marx/Engels ;
ils perpétuent plutôt le bafouillage de Foucault.
Si l’on commence par examiner au niveau ponctuel la façon
dont ils traitent d’un cas particulier – avec un regard
sur les éléments manquants de leur récit
– on découvrira également la problématique
de la théorie générale. Par exemple, après
avoir lu environ un tiers d’Empire, on s’aperçoit
que la révolution iranienne fut « la première
révolution postmoderniste ». Selon les auteurs, c’était
un rejet à la fois de la modernité et du marché
mondial. « L’idée directrice antimoderne qui
définit le fondamentalisme pourrait être mieux compris…
non pas comme un projet prémoderne, mais postmoderne.
»
Il
est vrai que les religieux iraniens victorieux rejetaient la «
modernité » du Shah. Mais il y a plus. Khomeiny s’était
hissé au pouvoir comme un ennemi de la Révolution
blanche (sans effusion de sang) accomplie par le Shah au début
des années 1960. Ce programme de modernisation prônait,
entre autres, une redistribution foncière, une réforme
administrative, une campagne d’alphabétisation, la
nationalisation des forêts, la privatisation des industries
nationalisées, ainsi que des plans de participation aux
bénéfices et l’octroi du droit de vote aux
femmes. Si le Shah avait été un dictateur de gauche
(anti-américain) plutôt qu’un personnage royal
autoritaire et mégalomane, une partie de la gauche occidentale
aurait acclamé ces mesures – à l’exception,
peut-être, de la privatisation. En effet, ces mesures menaçaient
les intérêts les plus conservateurs de la société
iranienne, notamment les grands propriétaires terriens,
le clergé chiite (qui risquait de perdre des domaines considérables,
ainsi que des prérogatives en matière éducative
et judiciaire), et les commerçants des bazars – configuration
des forces sociales fort semblable à celles qui allaient
un jour prendre la tête du mouvement pour renverser le Shah.
La « modernisation » sociale et économique
induisit également une perturbation considérable
: un petit nombre de paysans reçurent effectivement des
terres et un grand nombre affluèrent vers les villes. En
1978-79, les plans du Shah s’enlisèrent en même
temps que son régime, lequel était profondément
corrompu et soutenu par un féroce organisme de sécurité
entretenu par les Américains. Entre-temps, dans les années
1970, les commerçants des bazars, principaux partisans
des 180 000 mollahs et des 80 000 mosquées du pays, payaient
davantage de taxes religieuses que d’impôts à
l’État, grâce au marché pétrolier
mondial 2. Bien que dirigée de toute évidence contre
le régime du Shah et ses bénéficiaires, la
révolution devint une révolte post-moderne contre
« le marché mondial » par simple glissement
postmoderne. Le déclin des revenus pétroliers
contribua à précipiter l’agitation, mais ces
revenus lubrifièrent autant la révolution que l’État
chancelant. Par ailleurs, on peut aisément relier les manifestations
de 1963 contre la Révolution blanche à la république
de Khomeiny. Les mollahs fomentèrent ces manifestations
pour protester (entre autres) contre l’émancipation
des femmes ; au pouvoir dix-sept ans plus tard, les mollahs les
couvrirent d’un voile. Le « post-modernisme »
explique la Révolution iranienne sur le mode des bafouillages
de Foucault.
La
puissance de l’intégrisme islamique en Égypte
au début des années 1980 représenta, à
certains égards, un phénomène comparable.
Les cinquante dernières années de l’histoire
égyptienne peuvent être considérées
comme une série d’efforts infructueux pour résoudre
les problèmes du pays en appliquant quelques grandes idées
résolument « modernes » – nationalisme
d’État, panarabisme, socialisme arabe. Lorsqu’on
entreprend d’étudier l’Égypte à
l’époque de la mort de Gamal Abdel Nasser en 1970,
l’une des premières choses qu’on apprend, c’est
que sa dimension sur une carte donne une fausse idée de
ses capacités réelles. Environ 97 % de la population
du pays vit sur 3 % du territoire (le delta et la vallée
du Nil), et la majorité est extrêmement pauvre. Trois
décennies plus tard, seulement 2 % de la terre est cultivable
; la population est extrêmement pauvre et encore plus nombreuse
(70 millions d’habitants) ; la moitié, âgée
de moins de 25 ans, nourrit peu d’espérances. Entre-temps,
une autre idée – l’infitah d’Anouar Sadate
(ouverture de l’économie au capitalisme occidental)
– avait échoué, ouvrant une large brèche
que les intégristes cherchèrent à combler.
Certes, ils n’avaient pas de programme économique
– seulement une panacée idéologique plus indigène.
Mais ils ne constituaient guère un phénomène
postmoderne. L’intégrisme musulman avait, à
son tour, surgi dans le domaine public et été réprimé
pendant des décennies. Une fois devenu président,
Sadate, qui servait de courroie de transmission entre les «
officiers libres » clandestins de Nasser et les Frères
musulmans avant la révolution de 1952, libéra de
nombreux Frères. Il espérait qu’ils constitueraient
un contrepoids aux forces prosoviétiques dans la politique
égyptienne. À l’époque de la guerre
de 1973, il se rapprocha des Saoudiens qui encourageaient activement
l’intégrisme d’obédience wahhabite dans
le monde musulman. Lorsque, par la suite, Sadate entreprit de
libéraliser la politique égyptienne, il laissa les
intégristes développer une influence croissante,
sans percevoir à sa juste mesure, la menace que faisait
peser leur radicalisation. Après l’assassinat de
Sadate, le régime égyptien – qui était
en fin de compte un régime militaire – réprima
sans pitié les intégristes. Des mesures similaires
prises par un gouvernement israélien auraient conduit à
des condamnations par l’ONU que Le Caire aurait certainement
votées… L’armée iranienne, principal
soutien du Shah, ne bénéficia pas d’une occasion
comparable, en partie par suite de la fuite du monarque, en partie
parce que le régime de Khomeiny neutralisa les échelons
supérieurs et créa une milice rivale, et principalement
parce que l’Irak attaqua l’Iran. La guerre qui s’ensuivit
rallia les Iraniens et joua un rôle important dans la consolidation
de la république islamique. Les souffrances induites par
le conflit israélo-palestinien au cours du siècle
dernier sont éclipsées par les morts, les destructions
et les déplacements de populations provoqués par
l’agression de Saddam Hussein contre l’Iran et les
contre-attaques iraniennes. Mais, alors qu’on se souvient
des tollés soulevés par la gauche occidentale (et
certains gouvernements européens) lorsqu’en 1981,
Israël bombarda le réacteur nucléaire irakien
construit avec l’aide de la France, on ne décèle
aucune agitation comparable à propos du monstrueux massacre
de la guerre irano-irakienne, ni même une reconnaissance
que le régime de l’Irak équivalait pratiquement
à un fascisme autant qu’un régime du Tiers-monde
peut s’en approcher. Hardt/Negri, par exemple, rejettent
les explications de la guerre du Golfe. Pour eux, le récent
débat sur les guerres justes et injustes fonctionne à
peu près comme l’idéologie. Mais ils tiennent
en plus haute estime la fonction de ce qu’ils appellent
les « soi-disant fondamentalismes ». L’intégrisme
islamique contemporain, écrivent-ils « ne doit pas
être interprété comme un retour aux formes
sociales et aux valeurs du passé », mais comme «
une nouvelle invention. » Quelle est la teneur de cette
nouveauté ? On se le demande. L’interpénétration
de la religion et de l’État ? Alors, le califat du
VIIIe siècle devait être postmoderne ! Le recours
à la technologie de pointe ? La science resplendissait
dans la civilisation islamique classique. Il devient bientôt
évident que la nouveauté de l’intégrisme
islamique pour Hardt/Negri réside dans ce à quoi
il s’oppose – de façon réelle ou dans
l’imagination des deux auteurs. Le « modernisme »
islamique, déplorent-ils, était « codé
et surcodé comme une assimilation ou une soumission à
l’hégémonie euro-américaine. »
Et, dans la foulée, ils affirment que la nouveauté
de « la résurgence contemporaine du fondamentalisme
est… le refus des puissances en émergence dans le
nouvel ordre impérial [postmoderne]. » Mais le mouvement
des Frères musulmans fut fondé en Égypte
en 1928. Il était anti-impérialiste et adopta la
salafiyyah (l’idée que les « premières
générations » de l’islam fournissent
le modèle de la vie contemporaine). La tentative d’assassinat
de Nasser en 1954 par un de ses membres constituait-elle une transgression
postmoderne ? Sayyib Qutb, le principal intellectuel des Frères
musulmans dans les années 1950 et 1960, était-il
postmoderne lorsqu’il comparait les régimes arabes
nationalistes – « modernes », selon Hardt/Negri
– à la jahiliyya (le terme employé par le
Coran pour désigner l’époque d’«
ignorance » d’avant Mohammed) et voulait les remplacer
par un État islamique mondial comme le califat d’origine
? Si on acceptait la thèse de Hardt/Negri, un nouveau califat
serait alors postmoderne. Qutb, que Nasser fit exécuter
en 1966, exerça une influence considérable sur les
intégristes du Moyen-Orient dans le dernier quart du XXe
siècle… Qu’en est-il de Raad Salah, probablement
le principal intégriste aujourd’hui parmi les Arabes
israéliens ? Est-il véritablement un transgresseur
postmoderne lorsqu’il avance que « tous ceux qui affirment
que les femmes ont le droit de faire ce qui leur plaît avec
leur corps fomentent l’anarchie » ? Lorsqu’il
proclame que l’homosexualité est un « grand
crime » ? Que soixante-dix vierges attendent les martyrs
(lire : les auteurs d’attentats-suicides) au paradis parce
que « nous avons la preuve. C’est écrit dans
le Coran et dans la sunna » [textes traditionnels liés
au prophète Mohammed] ? Et qu’en était-il
du cheikh Ahmed Yacine, chef spirituel du Hamas, l’organisation
intégriste palestinienne (constituée par les Frères
musulmans palestiniens qu’il dirigeait autrefois) ? Était-il
engagé dans une révolte postmoderne contre les marchés
mondiaux lorsqu’il déclara, en mars 2002, que «
les femmes peuvent perpétrer des attentats-suicides seulement
si elles ont la protection d’un homme à leurs côtés
» ? Sans chaperon, elles risqueraient une rencontre malencontreuse.
Quoi qu’il en soit, les femmes doivent rester chez elles
« pour assurer la survie de la nation 3. » Quelque
temps avant l’essor de la postmodernité – il
y a plus d’une dizaine de siècles, l’islam
en expansion postula une lutte mondiale entre le « camp
de l’islam » et le « camp de la guerre ».
Ce millénarisme a toujours constitué une tendance
puissante au sein de l’islam. Seule sa mise en œuvre
à la fin du XXe siècle peut sembler « nouvelle
». Les catégories de fondamentalistes – musulmans,
chrétiens, juifs, libéraux, marxistes, nationalistes,
postmodernes, etc. – peuvent varier ; ils partagent tous
une structure intellectuelle similaire, un engagement à
quelque système de données essentielles «
éternelles » qu’ils imposent au présent
et qu’ils tentent toujours d’interpréter de
l’intérieur. Le Goush Emounim (bloc de la foi), le
mouvement pionnier juif en Cisjordanie, associe l’orthodoxie
religieuse « moderne » et le nationalisme, et trouve
sa « constitution » dans la Torah. Les Frères
musulmans ont déclaré depuis longtemps que le Coran
était leur « constitution ». La pensée
fondamentaliste fait appel, en général, à
un mélange d’écrits et de passé lointain
imaginaire – et c’est pourquoi elle peut apparaître
comme radicale lorsqu’on l’applique au monde contemporain.
Bassam Tibi, un intellectuel, le résume bien lorsqu’il
écrit que les intégristes musulmans « invoquent…
sélectivement des “principes” (usul) choisis
de l’islam et les présentent de façon déformée
comme les fondements et la nature de l’authenticité
politico-culturelle 4. »
Il
est ainsi aisé pour Hardt/Negri de parler de façon
interchangeable de l’« intégrisme » islamique
et du « radicalisme » islamique sans stigmatiser le
radicalisme réactionnaire. Pour eux, le « modernisme
» islamique est fongible. Mais le « modernisme islamique
» est bien plus compliqué et bien plus diversifié
que l’acceptation « surcodée » de «
l’hégémonie euro-américaine »
et il entretient des relations ambiguës avec l’intégrisme.
Les principaux réformateurs islamiques de « l’époque
libérale », des penseurs comme al-Tahtawi, al-Afghani
ou Muhammad Abduh, préconisaient un réveil islamique
fondé sur des principes de base accompagnés d’une
réforme, tout en ayant une compréhension critique,
mais à multiples facettes de la relation de leur foi face
à la « modernité », à la rationalité
et à « l’Occident [5] ». Les Frères
musulmans eux-mêmes qualifiaient leur propre intégrisme
de « modernité » musulmane. « Les radicalismes
islamiques contemporains » nous informent Hardt/Negri, se
fondent « en premier lieu » sur l’ijtihad. Ils
expliquent que cette expression signifie en arabe « pensée
originelle » et que les radicaux islamiques sont engagés
dans « l’invention de valeurs et pratiques originelles
qui, peut-être évoquent celles d’autres époques…,
mais sont en fait dirigées en réaction à
l’ordre social actuel. » Si l’on regarde d’un
peu plus près, on constate que les propos de Hardt/Negri
sur l’ijtihad ressemblent fort à ceux de Foucault
sur le « gouvernement islamique ». Ce terme, qui provient
en fait de la jurisprudence islamique des VIIIe et IXe siècles,
désigne un effort individualisé de raisonnement
juridique portant sur l’interprétation et l’application
d’une loi religieuse. Un mujtahid (« quelqu’un
qui se donne de la peine ») n’invente pas des valeurs
originales ; il déduit des règles de comportement
des textes saints. L’ijtihad joua un rôle complexe
dans l’histoire islamique. Au XVIIIe siècle, c’est-à-dire
environ deux siècles avant la postmodernité, la
secte wahhabite l’adopta, dans le cadre d’un retour
aux principes de base islamiques (c’est-à-dire
au Coran, à la sunna et à l’héritage
des « premières générations »
de l’islam). Ces intégristes, ancêtres spirituels
du régime saoudien, soutenaient un égalitarisme
puritain des croyants par opposition à ce qu’ils
percevaient comme une décadence du monde islamique. Au
XIXe siècle, ce furent les « modernistes »
islamiques – alAfghani, Abduh et d’autres –
qui plaidèrent en faveur de l’ijtihad.
Rashid
Rida, un élève d’Abduh, fit de même
et sa conception d’un État islamique était
similaire à celle qu’adoptèrent les Frères
musulmans et les dirigeants de la révolution de l’Iran
6. Bref, tant sur le plan historique que conceptuel, tout ce qui
concerne ce terme et la relation entre intégrisme et modernisme
est plus complexe que ne le laissent penser les oppositions binaires
de Hardt/Negri. Les « discours » des postmodernes
et des intégristes sont antithétiques « à
presque tous égards », écrivent Hardt/Negri,
cependant, les postmodernes et la vague actuelle d’intégristes
ont surgi non seulement en même temps, mais également
en réaction à la même situation, mais à
des pôles opposés de la hiérarchie mondiale.
» Mais où se situent les Saoudiens dans cette hiérarchie
? La diffusion de l’intégrisme wahhabite, depuis
toujours une minorité extrémiste distincte au sein
de l’islam, a-t-elle été déterminée
par la misère de la terre postmoderne ? Ou a-t-elle été
alimentée dans le monde par les revenus pétroliers
saoudiens ? Sans les marchés pétroliers mondiaux,
les Saoudiens – ainsi que la clique d’Ossama ben Laden
dont la plupart des membres sont issus de familles riches –
auraient remporté peu de succès dans leurs tentatives
d’identifier leur sectarisme à la civilisation musulmane.
La rivalité entre les Saoudiens (wahhabites, arabes) et
les Khomeynistes (chiites, persans) pour l’hégémonie
des mouvements musulmans à travers le Moyen-Orient et au-delà
explique bien davantage la diffusion du fondamentalisme que ne
le font les catégories des théoriciens postmodernes.
Les deux pays, l’Arabie saoudite et l’Iran, se situaient
en général dans la « hiérarchie mondiale
», mais ils se trouvent également de part et d’autre
de ce que Téhéran appelle le Golfe persique et Riyad
le Golfe d’Arabie. Être contre
Le
problème ne réside pas seulement dans le fait que
Hardt/Negri grappillent à leur guise dans les sources textuelles
et l’histoire contemporaine. Le problème, c’est
la politique qu’ils visent à enjoliver en agissant
ainsi. Comparons les rapports des postmodernes et des fondamentalismes
avec les commentaires de Georg Lukács dans une lettre adressée
à Paul Ernst. Les deux hommes avaient été
des anticapitalistes romantiques avant la Première
Guerre mondiale, puis avaient emprunté des voies politiques
divergentes. Lukács, critique et philosophe, devint bolchevique
; Ernst, auteur dramatique et poète, devint un conservateur
nationaliste. Le premier croyait avoir trouvé la classe
messianique, le vecteur par lequel la vie et l’histoire
– la Vie et l’Histoire – seraient sauvées.
Le second demeura anticapitaliste, aspirant à un monde
imaginaire – pur et idyllique – non contaminé
par l’essor de la barbarie commerciale. « Quelles
que puissent être les divergences de nos idées, lui
écrivit Lukács en 1920, le débat est possible
tant que nos jugements sur le capitalisme sont similaires. J’estime
que vous vous trompez sur presque toutes les questions, mais vous
n’êtes pas de l’autre côté des
barricades 7. » De même que léninistes et nationalistes
conservateurs étaient, en dépit de leurs divergences,
du même côté des barricades contre le capitalisme,
postmodernes et fondamentalistes réagissent, semblet-il,
de concert, en dépit de discours antithétiques,
à ce que Hardt/Negri appellent « Empire ».
L’Empire est pour eux un nouveau paradigme induit par la
transfiguration de la modernité en postmodernité.
Il laisse derrière lui les États souverains, les
nations et l’impérialisme, et n’a pas de «
centre ». Par conséquent, il « n’est
pas américain », même si les États-Unis
y occupent une position privilégiée. Il est cependant
un « tout systémique », écrivent Hardt/Negri
dont la réflexion s’inspire du philosophe postmoderniste
Gilles Deleuze et du théoricien des systèmes Niklas
Luhmann. Deleuze préconisait une réflexion métaphysique
« systématique », contrairement à celle
de la plupart des postmodernistes opposés aux « grands
récits » et parlant d’un univers « fragmenté
». Mais un système deleuzien n’a ni essence
ni principe de base. Dans L’Anti-Œdipe, Deleuze et
Félix Guattari soulignaient que nos vies sont des machines
– « réelles, non au sens figuré ; des
machines mettant en jeu d’autres machines, des machines
mues par d’autres machines avec tous les couplages et connections
nécessaires. » Lorsqu’on relie la conception
de Deleuze à la notion d’« autopoiesis »
de Luhmann, c’est-à-dire un système de communication
autoproduit et autoréférentiel, le « principe
fondamental » du « tout » de Hardt/Negri commence
à prendre une forme quelque peu indéterminée
: dans Empire, « le pouvoir n’est doté d’aucun
terrain ou centre véritable localisable. Le pouvoir impérial
est réparti en réseaux par l’intermédiaire
de mécanismes de contrôle mobiles et articulés
». La révolte devra donc passer partout par ces mécanismes
décentrés.
La
communication est désormais « l’élément
central établissant les relations de la production. »
Notre monde déréglé, « informatisé
» se reproduit « immatériellement ».
Ce que Foucault appelait « société disciplinaire
», produit de la modernité, devient, selon Hardt/Negri
une « société de contrôle », de
« biopouvoir » dans l’Empire postmoderne.
Dans une société disciplinaire, les « appareils
» sociaux, depuis les prisons aux asiles, en passant par
les cliniques, imposent des critères de normalité
et de déviance. « La police englobe tout »,
comme l’écrivit Foucault. « Il n’y a
aucune différence substantielle entre la prison et
le reste de la vie », déclara Negri dans une interview,
peu avant d’être emprisonné en Italie, inculpé
(pour des raisons parfaitement plausibles) d’avoir, plusieurs
années auparavant, incité à la violence politique
8. Le New Deal représentait « la forme la plus achevée
de gouvernement disciplinaire », lit-on dans Empire, parce
que la société tout entière, une «
société-usine », était « subsumée
sous la férule du capital et de l’État ».
L’Union soviétique, elle aussi « société-usine
», avait échoué parce qu’elle avait
été incapable de transcender la « gouvernabilité
disciplinaire ». Hardt/Negri stigmatisent l’idéologie
de la guerre froide pour avoir opacifié les « occasions
extrêmement puissantes de créativité et de
liberté » dans l’histoire soviétique.
En fait, presque tous les livres traitant du totalitarisme peuvent
être « rejetés sans hésitation. »
Cependant, l’Empire dans lequel nous vivons, tels qu’ils
le décrivent, est à bien des égards un 1984
moderne. C’est un monde de mauvaise foi et de contradictions,
une « société de contrôle » dans
laquelle les « mécanismes de maîtrise »
prétendent être démocratiques alors qu’ils
généralisent en fait le « caractère
disciplinaire » dans nos « cerveaux et corps ».
Le biopouvoir « régule la vie sociale de l’intérieur
». À la place du parti de Big Brother, « une
machine… globalisée », dans les sphères
de l’économique, de l’industriel et des communications,
commande « la vie tout entière de la population.
» Ils concluent – et O’Brien du livre d’Orwell
aurait certainement approuvé – que ce n’est
pas la « vérité qui nous rendra libres, mais
la prise de contrôle de la production. »
Il
n’est nul besoin d’être un adepte du fondationalisme
philosophique – croire en des vérités anhistoriques
– pour trouver dans cette dernière formule le court-circuit
auto-poïétique par lequel se relient anti-fondationalisme
et fondamentalisme. Toute l’histoire postmoderne est l’histoire
de l’affrontement de producteurs de vérité,
et il semble ne s’exercer aucun contrôle. Pour Hardt/Negri,
la vérité importante c’est ce Contre quoi
on est. Ou peut-être, la vérité importante
est-elle simplement d’être Contre – parce qu’ils
ne semblent pas apprécier le fait que personne n’est
plus fondationaliste qu’un fondamentaliste. Tant qu’on
est Contre, la raison importe peu. Il importe peu que les intégristes
musulmans contemporains croient, selon les propos de Tibi, que
« le savoir moderne doit être islamisé »
ou, plus exactement, ré-islamisé, parce qu’ils
s’imaginent que toute la science provient, en définitive,
de l’islam 9. Ce qui importe pour Hardt/Negri, c’est
d’« être Contre ». C’est «
fondamentalement la clé de toute attitude politique active
dans le monde ». L’« expérience vécue
de la multitude mondiale » en est animée «
au niveau le plus fondamental et le plus élémentaire.
» C’est un leitmotiv quasi heideggérien, bien
que les auteurs ne le disent pas. Dans Être et temps, Heidegger
avait inventé l’expression « être-avec
» (Mitsein) pour décrire comment une personne peut
perdre son moi dans « les autres », c’est-à-dire
comment une personne peut devenir « inauthentique »
en « tombant » dans la masse. Hardt/Negri reconnaissent
que le prolétariat, au sens marxiste, ne sera pas une classe
messianique. Mais ils disposent d’un substitut postmoderne
tiers-mondiste. Ils espèrent que la « multitude mondiale
» forgera une nouvelle force collective libératrice
par l’« êtrecontre », et notamment
l’« être-contre » l’Empire. L’«
être-contre » permet à Hardt/Negri de réunir
sous une même rubrique Chiapas, le fondamentalisme et la
place Tienanmen. Les participants des émeutes de Los Angeles
de 1992 et l’intifada ne le réalisent peut-être
pas – on peut dire qu’ils ont peut-être seulement
un intérêt local plutôt qu’une conscience
mondiale décentrée – mais tous refusent «
le régime post-fordiste de contrôle social ».
Ces soulèvements, indépendamment de leur contenu,
sont postmodernes et potentiellement libérateurs. Toute
personne authentiquement « contre » est du même
côté des barricades. À un moment donné,
dans Empire, les auteurs font l’éloge d’Edward
Saïd pour s’être plaint de ce que les «
Orientalistes » homogénéifient l’«
Orient ». Enfin, la plupart des intellectuels occidentaux
ne procèdent pas à un examen empirique de «
l’Orient », mais le considèrent comme un objet
créé par leurs propres discours fondés sur
des préjugés. Mais comme Hardt/Negri ne reconnaissent
pas que c’est exactement ce que fait Saïd lorsqu’il
traite du Moyen-Orient, on ne peut guère s’attendre
à ce qu’ils reconnaissent qu’eux aussi sont
des homogénéisateurs acharnés lorsqu’ils
écrivent sur l’« être-contre ».
En fin de compte, on sent que la préoccupation de Hardt/Negri
est davantage une crise de rage ontologique qu’une politique
alternative. Et si l’on ne sait pas qu’on est véritablement
contre le marché mondial – si, disons, vous êtes
un Palestinien qui vit dans la misère depuis des décennies
dans un camp de réfugiés à Gaza et que vous
ne saisissez pas que le post-fordisme est votre véritable
problème – eh bien… Hard/Negri le savent pour
vous.
Lucien
Goldmann, un humaniste socialiste dont les travaux furent éclipsés
par le postmodernisme, fit un jour remarquer comment Lukacs et
Heidegger se rallièrent à des dictateurs, respectivement
Staline et Hitler, convaincus qu’en tant que théoriciens,
ils saisissaient la signification de la « totalité
» mieux que leurs dirigeants politiques 10. On trouve, je
pense, un orgueil similaire chez Hardt/Negri, non seulement dans
leurs débats sur le fondamentalisme et sur quiconque est
« contre », mais dans la véhémence de
leurs tonalités prophétiques. Ils écrivent
comme si rien n’avait jamais mal tourné au nom de
« la gauche » ou de l’« authenticité
». Un ton analogue peut être discerné dans
une partie de la gauche intellectuelle après le 11 septembre
– chez ceux dont la première impulsion fut non pas
de pleurer les innocents assassinés, mais d’expliquer
comment cet événement (oui, oui, un événement
malheureux) démontrait à quel point ils avaient
toujours raison sur tout.
Le
bon, le mauvais et le moderne
En
fait, Hardt et Negri pensent vraiment que quelque chose a mal
tourné dans la gauche, et cela transparaît non seulement
dans ce qu’ils écrivent, mais également dans
leur voix. C’est une voix compréhensive, voire empathique,
lorsqu’ils parlent des intégristes, si « antithétique
» que soit leur discours par rapport au leur. Mais la voix
se fait méprisante lorsqu’ils évoquent les
socialistes non communistes. « Le grand gouvernement centre-gauche
et socialiste », protestentils, a apporté une
grande « répression et destruction de l’humanité.
» Le libéralisme et le socialisme furent les deux
grandes « idéologies » de la « phase
de maturité » de la modernité, lorsque «
l’immanence » a perdu au profit de la « transcendance.
» Selon ce grand discours, l’humanisme des débuts
de la Renaissance était une bonne chose parce qu’il
libéra des forces « immanentes » – c’est-à-dire
créatrices, matérielles, « révolutionnaires
». Mais ces forces de la bonne modernité donnèrent
aussi naissance à la Réforme et aux guerres de religion.
L’ordre fut alors rétabli par un nouveau pouvoir
« transcendantal », la « machine de souveraineté
». Plus simplement, pour Hardt/Negri, l’État
moderne, défini par sa capacité à légiférer
et à appliquer la loi, représente la « contre-révolution
». « Thermidor » fut révélé
en particulier par « l’humiliante et déplorable
paix » qui mit fin à la guerre de Trente ans. Le
traité de Westphalie en 1648 créa le système
de l’État moderne et confirma le principe du XVIe
siècle « cuius regio, eius religio » (celui
qui gouverne un pays détermine sa religion). « La
religion elle-même devenait la propriété du
dirigeant », déplorent-ils. Elle était «
subordonnée au contrôle territorial du souverain.
» Il s’ensuit de sombres développements. Le
concept de nation émerge, s’avérant n’être
rien de plus qu’une réinvention du « corps
patrimonial de l’État monarchique », si ce
n’est que l’ordre féodal du sujet céda
devant l’ordre disciplinaire du citoyen. » L’identité
nationale était indissolublement liée à «
la construction d’une différence raciale absolue
», et ainsi, la mauvaise modernisation nous donne aussi
l’eurocentrisme et l’impérialisme (moderne).
Pire
encore, il nous donne les Lumières incarnées par
Emmanuel Kant. Pour Hardt/Negri, le rationalisme kantien «
transcendantal » est « la liquidation définitive
de la révolution humaniste ». En termes plus simples,
Kant nous proposait de ne considérer le monde que comme
un chaos de sensations si nous ne partagions pas une structure
cognitive qui aurait a priori déployé des concepts.
C’est pourquoi nous pouvons communiquer rationnellement
les uns avec les autres et parler du monde comme d’une loi.
C’est pourquoi également le kantisme est une sorte
d’universalisme libéral ; la loi raisonnable vient
du dedans de nous tous. Mais, pour Hardt/Negri, si l’on
relie la loi de Kant de l’intérieur à la loi
imposée de l’extérieur (par la « machine
de souveraineté »), la modernité libérale
devient pratiquement totalitaire. Le kantisme dénie «
toute force d’immédiateté » et d’«
immanence », écrivent Hardt/Negri. Ainsi, «
les postmodernistes reviennent continuellement à l’influence
persistante des Lumières comme source de domination. »
Pour les postmodernistes, semble-t-il, les Lumières sont
la jahilliya de l’Occident… Et si l’universalisme
des Lumières fournit une justification idéologique
de la mauvaise modernité, le libéralisme social
de John Rawls, qui doit tant au rationalisme kantien, fait de
même au nom de l’Empire. Pour la plupart des lecteurs,
l’ouvrage de Rawls intitulé Theory of Justice est
une expérience de réflexion dans laquelle des personnes
différentes par leurs avantages sociaux et leurs capacités
naturelles traitent des principes fondamentaux de la justice pour
la société. Elles le font sous un « voile
d’ignorance » imaginaire leur cachant la connaissance
de leur propre situation sociale ou capacités (leurs particularités).
Cela leur permet de discuter « honnêtement »,
c’està-dire, seulement sur la base d’une
rationalité humaine commune et sans ingérence de
leurs préjugés intéressés. Les délibérations,
suggère Rawls, aboutissent finalement à un consensus
sur un libéralisme politique et sur l’idée
que les inégalités ne sont justifiables que lorsqu’elles
s’avèrent bénéficier aux membres les
moins avantagés de la société. Pour Hardt/Negri,
le voile est en fait un masque idéologique. Après
tout, ils espèrent que l’« être-contre
» soudera la multitude. Les concitoyens de Rawls sont liés
par une rationalité humaine commune et tous les bons postmodernistes
savent que la rationalité doit comporter quelque stratagème
de domination. Ainsi, Hardt/Negri nous disent que la « domination
impériale » a besoin d’un moment « inclusif
». En nous empêchant de discerner les différences,
« un voile d’ignorance prépare une acceptation
universelle » du caractère « totalitaire »
de l’Empire qui poursuit sa propre logique comme une «
machine de technologie de pointe ». Ce système doit
aussi effacer les remises en question ; c’est pourquoi il
y a des guerres du Golfe. Et les organisations non gouvernementales
– notamment des groupes de défense des droits de
l’homme comme Amnesty International, Médecins sans
Frontières, ou Oxfam – sont une « police morale
» dont « l’interventionnisme moral »,
souvent, « prépare le terrain » pour une intervention
militaire. En procédant à une torsion, on voit comment,
par leur discours, Hardt/Negri véhiculent leur hostilité
au libéralisme et au socialisme. La Renaissance fut certainement
une grande force d’émancipation intellectuelle, mais
elle ne représente guère « le triomphe du
laïcisme » comme ils le présentent. Elle contribua
au laïcisme, principalement en légitimant des autorités
rivales (plus précisément les Anciens à côté
de l’Église), mais la plupart des intellectuels de
la Renaissance estimaient que leur humanisme n’entrait pas
en contradiction avec leur christianisme. Par ailleurs, l’Europe
n’est pas devenue ce que l’historien R. I. Moore appelle
« une société de persécution »
lorsque la Mauvaise Modernité a pris la forme de l’État
souverain. Elle l’est devenue aux XIe et XIIe siècles
– avant la « modernité » – lors
de ce qui est parfois qualifié de « Renaissance du
XIIe siècle ». Un changement fondamental se produisit
à cette époque lorsque la « violence délibérée
et socialement sanctionnée commença à être
dirigée par les institutions gouvernementales, judiciaires
et sociales en place contre certains groupes de gens » –
hérétiques, Juifs, lépreux, « sodomites
», etc. – « définis par des caractéristiques
comme la race, la religion ou le mode de vie et… l’appartenance
à de tels groupes en arriva, en soi, à être
considérée comme justifiant ces attaques [11]. »
Hardt/Negri
tiennent tellement à dénoncer l’eurocentrisme
qu’ils ne perçoivent pas comment les préjugés
pré-modernes contre les Autres à l’intérieur
de l’Europe pouvaient se traduire en intolérance
parmi les chrétiens, puis en négation des Autres
de l’extérieur. Il n’est pas étonnant
que la Shoah apparaisse dans leur discours comme n’étant
rien de plus qu’un détail de la modernité…
Hard/Negri s’intéressent à l’«
immanence », pas à la tolérance, sinon, ils
auraient compris que, aussi bien dans la Paix d’Augsbourg
de 1555 que dans le traité de Westphalie, le principe «
cuius regio, eius religio » signifie l’acceptation
d’un multiconfessionalisme en lieu et place des tentatives
sanglantes d’imposer une uniformité religieuse sur
le continent. Dire qu’un prince peut imposer sa religion
dans son territoire signifie, dans le contexte des XVIe et XVIIe
siècles, que les Européens se résignaient
à la différence, c’est-à-dire à
accepter l’un à côté de l’autre
catholicisme et protestantisme. En fait, le traité de Westphalie
alla plus loin que celui d’Augsbourg en soutenant, quoique
d’une façon limitée, que les sujets des religions
minoritaires dans une principauté devaient bénéficier
de protections civiles. Il est vrai que le traité de Westphalie
n’a pas créé ce que voulaient Hardt/Negri
– une « hybridité » postmoderne. Mais,
franchement, l’hybridité postmoderne n’était
guère une option à l’époque. Ce qui
était possible, c’était une démarche
pragmatique vers le pluralisme européen qui était
considérablement moins déplorable que les massacres
des redoutables guerriers de Dieu entre eux. Cette démarche
nécessitait des États souverains placés au-dessus
des religions rivales. Ces États, même absolutistes,
ne représentaient pas le « Thermidor » de l’humanisme
de la Renaissance ; ils constituaient une condition sine qua non
à l’existence de sociétés pluralistes
autorisant l’expression de discours divergents. Le concept
de nation ne réinventait pas simplement « le corps
patrimonial de l’État monarchique ». Il le
démocratisait en suggérant qu’une communauté
politique de citoyens égaux pourrait remplacer des royaumes
constitués de sujets du monarque.
Cela
requérait une « différence » parmi les
républiques ou nations, parce que cela supposait une autonomie
plutôt que la mobilisation d’une « multitude
» mondiale. Mais l’autonomie et le nationalisme (ce
dernier était un terme de la gauche au début du
XIXe siècle) comprenaient des dimensions créatrices
à la fois inclusives et exclusives, de démocratisation
et « Autres ». Les libéraux et les sociodémocrates
acceptèrent en général la structure qui en
résulta, c’est-à-dire la nécessité
de communautés politiques limitées. Pour Hardt/Negri,
c’est leur péché originel. Comment peut-on
voir des dimensions à la fois positives et négatives
dans les Lumières ou l’État libéral
démocratique ? Le réformisme social au sein d’une
structure libérale démocratique n’est apparemment
qu’un piège de plus dans le mécanisme de domination.
La mondialisation, estiment Hardt/Negri, recèle l’alternative.
Immanence
de nos jours ?
«
Laissez un millier de machines de vie, d’art, de solidarité
et d’action balayer la stupide arrogance sclérosée
des vieilles organisations », écrivaient Guattari
et Negri dans un article intitulé « Des communistes
comme nous ». Dans Empire, on apprend que la Mauvaise Postmodernité
peut être remplacée par la Bonne Postmodernité
grâce à l’« être-contre ».
« La mondialisation doit se heurter à la contre-mondialisation,
l’Empire au contre-Empire. » La chose est possible
parce que « le corps de la multitude peut se configurer
comme un telos. » Ce telos est « théurgique
» – ce qui signifie, dit mon dictionnaire, que l’agencement
divin est à l’œuvre. Dans leur quête du
contre-Empire, qu’ils appellent aussi « la ville terrestre
de la multitude », Hardt/Negri semblent pénétrer
dans leur propre domaine de spiritualité politique. «
Le pauvre est dieu sur terre », nous disentils, «
il existe une Pauvreté mondiale, mais il y a surtout le
Potentiel mondial, et seul le pauvre en est capable. » Hardt/Negri
cherchent leur inspiration chez saint Augustin. Selon leurs propres
mots, ce dernier réalisa qu’« aucune communauté
limitée ne parviendra à fournir une alternative
à la domination impériale [romaine, en décomposition]
; seule une communauté catholique universelle rassemblant
toutes les populations et toutes les langues dans une entreprise
commune pourrait réaliser cela. » Ils expliquent
ensuite que « notre pèlerinage sur terre…,
contrairement à celui de saint Augustin, n’a aucun
telos transcendant ; il est et demeure absolument immanent. Son
mouvement continuel, rassemblant les étrangers dans la
communauté, faisant du monde son foyer, est à la
fois un moyen et une fin, ou plutôt un moyen sans fin. »
Le syndicalisme – le « mouvement perpétuel
» – des Travailleurs industriels du Monde au tournant
du XXe siècle était « un pèlerinage
immanent ». Il incarnait « le grand projet augustinien
de l’époque moderne. »
Et
c’est aussi un projet postmoderne. De nos jours, l’être-contre
libèrera le « désir » de la multitude
afin que « les technologies et la production » puissent
être dirigées « vers sa propre joie [celle
de la multitude] et l’augmentation de son pouvoir. »
L’internet représente une telle technologie parce
que c’est une « structure en réseau non hiérarchique
et non centralisée » – un « rhizome »
en langue deleuzienne. Parce que Hardt/Negri considèrent
les êtres humains comme des machines « désirantes
», les images mécaniques et organiques semblent toujours
fusionner. Dans une métaphore révélatrice,
ils fournissent ce qu’on pourrait appeler « la théorie
capillaire » de l’évolution postmoderne. Les
capillaires sont des petits vaisseaux sanguins situés entre
les terminaisons des artères et le début des veines,
c’est-à-dire, entre les vaisseaux sanguins partant
du cœur et y arrivant. Ayant qualifié les organisations
non gouvernementales de police morale au début d’Empire,
Hardt/Negri poursuivent en les décrivant comme «
les terminaisons capillaires des réseaux contemporains
du pouvoir. » En d’autres termes, « l’appel
moral universel » de ces ONG pourrait, dialectiquement,
annoncer un retournement de la direction du biopouvoir.
Ce
retournement rappelle le moment le plus précaire de la
pensée politique de Marx – lorsqu’il imaginait
qu’un État prolétaire centralisant la domination
sur la vie économique (dans la première étape
du communisme) conduirait dialectiquement à une société
sans État (dans la seconde phase du communisme, sans classes).
L’objectif du retournement dialectique postmoderne est un
monde de mouvements déterritorialisés, les rhizomes
– et Hardt/Negri pensent qu’il s’inscrit dans
le présent. Avec la machine de domination, l’Empire
postmoderne « nous présente une alternative : la
série de tous les exploités et les opprimés,
une multitude directement opposée à l’Empire,
sans aucune médiation. À ce stade, comme le dit
saint Augustin, il nous incombe de discuter, de notre mieux, «
de l’ascension, du pouvoir et du destin ultime des deux
Cités… que nous trouvons… liées, imbriquées
l’une dans l’autre. » Mais à nouveau,
ici, dès que leur spiritualité politique est affirmée,
le langage et les idées deviennent fongibles. Lisez Augustin
et vous trouverez qu’il ne peut y avoir aucun « projet
augustinien » au sens de Hardt/Negri. Augustin pensait que
« l’ensemble de la race humaine est condamnée
» au « châtiment pour des siècles »
à cause du péché originel. Il ne croyait
pas que l’humanité était composée de
pèlerins voués à un telos transcendant. Ses
pèlerins sont la minuscule minorité sauvée
par la grâce « imméritée ». Rien
de ce qu’ils font ne la leur garantit ; ceux de la Cité
terrestre ne savent pas s’ils l’ont ou non, s’ils
seront séparés des damnés voués à
la direction opposée à la Cité de Dieu. Ainsi,
lorsque saint Augustin dit que les « fins du destin »
des deux Cités se mêlent dans notre monde, ses hypothèses
sont à l’opposé de celles de Hardt/Negri.
L’humanité ne se trouve pas sur la même route,
et l’utopie est donnée d’en haut à un
petit nombre d’hommes dans la vie après la mort.
Si l’on prend au sérieux les hypothèses augustiniennes,
on ne peut parvenir à des conclusions bancales. Ce serait
comme si l’on affirmait que l’intégrisme musulman
est un phénomène postmoderne. Et qu’en est-il
si un « millier de machines de vie, d’art, de solidarité
et d’action » ne s’épanouissent pas ?
Et que se passe-t-il si aucune Grève générale
de la multitude ne rend divine la Cité terrestre ? C’était,
après tout, le problème de Lénine. Il le
résolut en plaçant l’avant-garde du parti
avec son approche « scientifique » de l’histoire,
entre les deux Cités. Hardt/Negri donnent dans le bolchevisme
postmoderne. Ils veulent que l’« être-contre
» devienne, dialectiquement, spirituellement, une immanence
spirituelle, mais ils doivent savoir que seuls les intellectuels
postmodernes assimileront leur discours. Après tout, leur
théorie de la communication révolutionnaire explique
que le telos théurgique de la multitude désirante
de l’Empire décentré sera atteint joyeusement
tandis que son être-contre est configuré rhizomatiquement.
Si vous faites partie de la multitude et que cela ne vous explique
pas parfaitement votre monde, eh bien, c’est que tout le
monde n’a pas compris Matérialisme et empiriocriticisme
de Lénine.
Ainsi,
Hardt/Negri nous disent que c’est le « militant »
qui « exprime le mieux la vie de la multitude ». Ce
militant est personnifié non seulement par les combattants
et intellectuels « de la liberté » du siècle
dernier, mais – et c’est plus important – par
saint François d’Assise : telle est la version de
la salafiyyah que donnent Hardt/Negri. « Une fois de plus,
dans la postmodernité, nous nous trouvons dans la situation
de saint François, opposant à la tristesse du pouvoir
la joie de l’être. C’est une révolution
qu’aucun pouvoir ne contrôlera – parce que biopouvoir
et communisme, coopération et révolution demeurent
liés, dans l’amour, la simplicité et l’innocence.
C’est la légèreté et la joie à
toute épreuve d’être communiste. » Ou
s’agit-il d’une grande « Deleuzion » 12
? Considérons ce que « être-contre »
devrait être, selon Hardt/Negri. D’abord, la «
citoyenneté mondiale ». Mais lorsqu’ils la
définissent, elle se transforme en un chœur postmoderne
: « La multitude doit être capable de décider
si, quand et où elle se meut. » La multitude est-elle
ce « elle » ? Ou s’agit-il d’êtres
humains ? Seule ce « elle » peut demeurer en «
perpétuel mouvement » comme dans l’imagination
de Hardt/Negri sur le pèlerinage augustinien des Faibles.
Dans Empire, le mot « multitude » n’incarne
pas l’humanisme postmoderne. Il représente le «
désir » figé de ses auteurs. Après
tout, la plupart des êtres humains ont besoin de moments
et de lieux, autant que de métamorphoses. Les Palestiniens
ne veulent pas de mouvement perpétuel ; ils veulent la
souveraineté (comme les sionistes). Dans notre monde globalisant,
les pauvres émigrés ne recherchent pas le «
mouvement perpétuel » comme une fin en soi ; ils
aspirent à des endroits où vivre décemment
et en sécurité. Seul le capital en quête de
profits peut vivre en mouvement permanent. Peut-être des
intellectuels cosmopolites le peuvent aussi lorsqu’ils sont
en quête de conférences et de célébrité
internationale. Mais, en général, ils veulent aussi…
la sécurité de l’emploi – et en ont
besoin.
Les
deux autres exigences soutenues par Hardt/Negri sont des salaires
sociaux garantis pour tous et la « redistribution »
des moyens de production. Ce ne sont guère des exigences
postmodernes – elles comptent parmi les plus anciennes dans
l’histoire de la gauche. Comment les mettre en application
de nos jours ? Sur ce sujet, Hardt/Negri ont peu de choses à
nous dire. Comme Foucault, ils cherchent un art de n’être
pas gouvernés. Ils veulent que la multitude soit un «
pouvoir constituant » sur le « terrain de la constitution
ontologique ». Il n’est pas étonnant que la
gauche postmoderne n’ait nulle part remporté de véritable
bataille politique. Dès lors, comment expliquer l’engouement
pour Empire ? L’une des raisons, c’est qu’il
tente de remplir un vide à gauche. Le monde a changé
de façon spectaculaire au cours des vingt-cinq dernières
années du siècle par suite des révolutions
intervenues dans la technologie et les communications, le progrès
de la mondialisation néo-libérale et la fin de la
guerre froide. La gauche socio-démocrate en Europe –
et Bill Clinton aux États-Unis – ont réagi
en parlant d’une « troisième voie » en
grande partie dénuée d’imagination sociale.
Cette troisième voie devint une simple voie d’adaptation,
l’acceptation de « la fin de l’histoire ».
Mais, si l’on sort de l’histoire, quelqu’un
d’autre y fera vraisemblablement irruption. Les partis socio-démocrates
participaient dans les années 1990 aux gouvernements d’une
grande partie de l’Europe et ils s’adaptèrent.
Leur adaptation est maintenant rejetée après chaque
élection. La force politique inquiétante de la droite
populiste en est l’une des conséquences. La popularité
d’Empire, avec sa combinaison de spiritualité politique
et son tiers-mondisme chantant, en est une autre. Alors que la
social-démocratie bredouille, le postmodernisme chante.
Mais que se passe-t-il si les pauvres n’incarnent pas la
Possibilité mondiale ou le dieu de la Cité terrestre
? Qu’en est-il si la multitude n’est qu’un ensemble
d’êtres humains souffrants ? Il incombe alors à
la gauche d’imaginer des réformes mondiales, régionales,
nationales et locales qui permettront à ces êtres
humains de prendre en main la vie politique, sociale et économique
– plutôt que d’en faire les moyens d’un
fantasme intellectuel (décentré). Peut-être
alors, vaudrait-il mieux pour la gauche parler des êtres
humains comme s’ils étaient, par eux-mêmes,
des fins plutôt que des « machines désirantes
». Peut-être n’est-ce pas un accident, mais
un « symptôme » que les mots « biopouvoir
», « multitude », et « rhizome »
figurent en index d’Empire, mais pas le mot « démocratie
». La « biopolitique » d’Empire rappelle
la caractérisation de la psychanalyse
Notes
1.
Sur Foucault et l’Iran en anglais, voir notamment, Didier
lyse par Karl Kraus : une partie du mal qu’elle prétend
soigner Eribon, Michel Foucault, Harvard University Press, 1991,
pp. . 281-295 ; James Miller, The Passion of Michel Foucault,
Simon and Schuster, 1993, pp. 306-324 ; et les articles de Foucault
« Open Letter to Mehdi Bazargan » et « Useless
to Revolt ? », in Michel Foucault, Power : Essential Works
of Foucault, Vol 3, The New Press, 2000.
2. Fred Halliday, Iran : Dictatorship and Development , Penguin
Books, 1979, pp. 18-19.
3. Sur les commentaires de Salah, voir Jalal Bana, « Among
the Believers », Haaretz, 26 octobre 2001 ; sur Yacine,
voir Zvi Barel, « Make Children not War », Haaretz,
14 mars 2002. 4. Bassam Tibi, Islam between Culture and Politics
, Palgrave, 2001, p. 15. 5. Voir l’étude classique
d’Albert Hourani, Arabic Thought in the Liberal Age, 1798-1939,
Oxford University Press, 1970.
6. J’ai puisé en partie dans Fazlur Rahman, Islam,
Anchor Books, 1968, notamment pp. 81-93 et Hamid Enayat, Modern
Islamic Political Thought, University of Texas Press, 1982, notamment
pp. 47-49 et 81-102. 7. Voir Michel Löwy, Georg Lukács
: From Romanticism to Bolshevism , New Left Books, 1979, p. 46.
8. Negri, un éminent intellectuel de l’extrême
gauche italienne a passé plusieurs années en exil
à Paris pour éviter la prison. Il est revenu en
Italie en vertu d’un accord spécial lui permettant
de n’être incarcéré que la nuit. L’interview
sur vidéo « Retour vers le futur » a également
paru sous forme de livre sous le titre Exil, Les yeux ouverts,
1998. Les idées de Negri sur la prison peuvent être
utilement comparées avec sa représentation (et celle
de Hardt) dans Empire des dernières années de la
vie de Louis Althusser comme « sa période d’isolement
». Althusser étrangla sa femme, puis passa une décennie
à fréquenter des hôpitaux psychiatriques.
10. Lucien Goldmann, Lukács et Heidegger, Youssef Ishaghpour,
Denoël/Gonthier, 1973, pp. 76-79.
9. Tibi, op. cité,pp. 11-13.
11. Voir R. I, Moore, The Formation of a Persecuting Society :
Power and Deviance in Western Europe 9501250, Blackwell,
1992, pp. 4-5, et pp. 153-53. Ce livre est de toute évidence
influencé par les méthodes de Foucault, mais avec
une compréhension de l’histoire bien plus sûre
que celle de la plupart des Foucauldiens.
12. Jeu de mots qui contracte Deleuze et delusion (illusion en
anglais).
Mitchell
Cohen souhaite remercier Michael Walzer et Richard Wolin pour
leurs précieux commentaires sur les ébauches du
présent article.