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Les quatre piliers du mal français ou le triste état du libéralisme

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Vincent Benard

Ingénieur de formation, Vincent Bénard est collaborateur scientifique de l’institut Hayek de Bruxelles et de l’institut Turgot de Paris, deux think tanks libéraux francophones pour lesquels il se consacre à l’analyse des problèmes rencontrés par la société française et des solutions concrètes issues de la pensée libérale qu’il conviendrait de leur apporter. Il est le co-auteur du rapport « hyper-république, l’administration électronique au service du citoyen », remis au secrétaire d’État à la réforme de l’État en janvier 2003.

 

Premières pages

L es étrangers avec lesquels je suis en contact sont souvent surpris par le parti pris anti-libéral ouvertement affiché par les Français, leurs représentants politiques et leurs médias. Cette question les touche, car la France apparaît aujourd’hui comme la principale force de blocage des réformes au sein de l’Union Européenne comme de l’OMC. Ces résistances, qui ont considérablement freiné et empêchent encore l’ouverture de nombreux marchés, de l’agriculture à l’énergie, en passant par les services, sont particulièrement dommageables pour les économies en phase d’émergence. Bien que cet intérêt pour des questions apparemment franco-françaises puisse paraître surprenant, beaucoup sont ceux hors de nos frontières qui souhaitent savoir pourquoi la France est tellement anti-libérale. Répondre à cette question oblige rapidement à éviter les raccourcis simplistes et les théories uni-causales. Des forces politiques anti-libérales existent dans tous les pays du monde. Même aux USA, la dernière campagne du parti démocrate a démontré une radicalisation de la gauche américaine contre l’économie de marché. Mais partout dans le monde, ces idées très à gauche sont efficacement contrebalancées par un fort courant libéral qui a réussi à convaincre une part non négligeable de l’opinion publique et du monde politique que les idées qu’il portait étaient le plus à même d’améliorer grandement le sort de la plus grande part de l’humanité, y compris des plus déshérités. Même des politiciens supposément de gauche comme l’étaient Bill Clinton et Tony Blair, élus sur des programmes très socialistes, ont adopté une fois au pouvoir des politiques économiques d’inspiration libérale, comprenant qu’elles seules étaient à même de produire les richesses nécessaires pour financer les volets sociaux de leur action.

Rien de tel en France. Le libéralisme est un nain politique, et même la droite de notre échiquier politique reste acquise aux recettes interventionnistes et keynesiennes qui ont pourtant prouvé leur incapacité à nous sortir de la crise vécue par notre économie depuis 1973. Lors des élections présidentielles de 2002, sur 16 candidats, un seul affichait clairement son orientation libérale. Il n’a pas atteint 4 % des suffrages, un peu moins que le candidat des chasseurs ! Les quatre candidats communistes et assimilés ont totalisé 14 %, l’extrême droite, au programme très interventionniste et anti-mondialiste affirmé, a atteint 19 %, les écologistes 7 % et les candidats des partis dits de gouvernement, qui ont tous pris soin de se dissocier du libéralisme, et dont certains, à gauche, flirtaient volontiers avec les extrêmes, ont monopolisé les 50 % restant. Pourtant, jamais nous n’aurons autant entendu parler de libéralisme que lors de la campagne référendaire européenne. Selon les avocats du oui, la constitution devait nous « protéger des excès de l’ultra-libéralisme », néologisme commode brandi en toute circonstance par les interventionnistes comme bouc émissaire commode, source de tous nos problèmes. Selon les partisans du non, cette constitution était beaucoup trop libérale, ce qui a beaucoup fait rire les gens qui savent un peu de quoi ils parlent lorsqu’ils évoquent ce courant de pensée… Bref, le libéralisme a été au centre du débat européen, alors qu’en France, il n’a pas d’existence politique.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Le capitalisme libéral souffre certes d’un handicap majeur en terme de marketing. Nous le savons, la machine à créer de la valeur du capitalisme est ce mécanisme de sélection permanente des meilleurs producteurs, décrit par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter, sous le nom de destruction créatrice de valeur. Les données récemment recueillies sur l’économie montrent combien l’analyse Schumpeterienne était pertinente. Ainsi, en France, il se créée et se détruit chaque année environ 2,5 millions d’emplois, en combinant les destructions volontaires (suite à un départ d’un salarié de son propre chef), majoritaires, et les destructions forcées, qui représentent moins de 30 % du total, dont 2 % à peine pour les plans sociaux collectifs 1. Les USA, dans les années 93-2000 (mandat de Bill Clinton), ont connu une augmentation nette de leur force de travail de 21 millions de personnes, résultant de la destruction de 242 millions d’emplois et de la création de 263 millions 2 mieux payés que les anciens emplois dans plus de 70 % des cas. Schumpeter lui même a reconnu que le côté déplaisant de cette équa¬tion vaudrait au capitalisme libéral de nombreux ennemis : pour créer de nouveaux emplois bien payés, il faut détruire d’autres emplois, et si l’on tente d’empêcher le mouvement de destruction des postes de travail les moins rentables, l’on empêche la création des emplois et des produits de demain. Il est très difficile d’expliquer à l’ouvrier textile de Roubaix que la destruction de son travail permet de créer des emplois dans les nouvelles technologies où les services commerciaux en région parisienne. Les socialistes ont beau jeu de rendre le libéralisme responsable de ces pertes d’emploi, et les libéraux français ont été particulièrement mauvais pour expliquer à ces personnes que s’ils ne retrouvent pas de nouvel emploi, la cause en est l’excès d’intervention de l’État dans l’économie, qui freine à peine la destruction des emplois inefficaces mais obère fortement la création et la croissance des nouvelles entreprises fortement employeuses de demain. Mais ce manque apparent de sex-appeal du capitalisme n’est pas propre à la France et n’a pas empêché d’autres nations de s’engager dans la voie de réformes libérales avec un soutien majoritaire de leurs populations et de leurs élites. Pourquoi une telle mutation rencontre t-elle tant d’hostilité en France ? Les racines du mal sont à rechercher dans une conjonction d’événements historiques et de décisions politiques unique dans le monde occidental, qui ont, par petites étapes successives, créé un contexte très favorable tant à l’idéalisation des théories interventionnistes qu’au rejet de toute philosophie donnant la primauté à l’individu sur l’État. Les quatre piliers de ce contexte particulier sont le gramscisme, l’énarchie, l’accommodation aux extrêmes et l’étouffement de la société civile. (...)

 




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