Journaliste
à l’hebdomadaire Maintenant, puis au Monde-Dimanche,
à Libération, à Valeurs actuelles et à
Tribune Juive, Richard Darmon est le co-fondateur en 1990 de l’Edition
hebdomadaire internationale en français du Jerusalem Post
dont il a été le rédacteur en chef jusqu’en
1996. Depuis, il est le correspondant en Israël de plusieurs
titres de la presse juive européenne.
Premières
pages
Le
moins que l’on puisse dire, c’est que le débat
public et la gestion politique du démantèlement
des 21 localités juives de Gaza et de 4 autres du nord
de la Samarie de l’été 2005, menés
par les différentes institutions et échelons de
la démocratie israélienne, ont témoigné
de défaillances malgré l’apparente réussite
« diplomatique » de ce véritable tournant dans
le conflit israélo-palestinien. Lequel a été
ressenti comme un véritable « viol » par une
partie de la population israélienne : à la fois
dans sa phase de préparation et dans son exécution,
mais aussi dans la période d’après le retrait,
marquée par une totale négligence – voire
une scandaleuse indifférence – pour le sort de ces
familles expulsées de chez elles au nom d’une «
raison d’État », souvent aux relents de règlement
de compte intérieur… Au plan formel, il ne fait pas
de doute que la décision d’appliquer le plan de retrait
a été « démocratiquement » prise
par une nette majorité de ministres du gouvernement Sharon,
puis par une majorité de députés de la Knesset
de telle sorte que contester le démantèlement revenait,
aux yeux de nombre de politiciens et des médias officiels,
à vouloir « remettre en cause de manière séditieuse
une décision démocratiquement arrêtée
». Il faut revenir justement – avec toutes les précautions
d’usage – sur le mode de décision concernant
cette mesure sans précédent dans l’histoire
des États démocratiques : l’évacuation
forcée et unilatérale, par les forces armées
d’un État, de ses propres ressortissants nationaux
habitant des territoires frontaliers « disputés »
par un pays ou une puissance ennemie voisine, mais sans nul accord
de paix bilatéral ni compromis passés avec cette
puissance pour mettre fin à l’état de belligérance…
L’absence d’explication
du retournement politique
Mis à part son « discours d’Herzliya »,
prononcé en décembre 2003 au dîner de clôture
d’une conférence géostratégique, dans
lequel il a lancé et défini – en termes d’ailleurs
très généraux – son plan de «
retrait unilatéral » justifié par «
l’absence de partenaires palestiniens de paix », en
affirmant, sans démonstration, que « la scène
internationale a horreur du vide », A. Sharon n’a
pour ainsi dire jamais expliqué à ses concitoyens
les raisons profondes qui l’ont amené à décider
de l’évacuation de ces vingt cinq localités
juives, alors qu’il était déjà admis
que Tsahal avait bel et bien défait sur le terrain les
terroristes de la deuxième Intifada, remportant ainsi la
première victoire du genre dans un « conflit asymétrique
à basse intensité », opposant un État
constitué à des groupes armés à l’idéologie
destructrice et prêts à tout pour arriver à
leurs fins. S’il est une constante dans la période
préalable au retrait, c’est bien ce lourd silence
de Sharon sur ses objectifs : ainsi, n’a-t-il rien dit de
substantiel lors de ses diverses interventions devant la Knesset,
ni dans ses rapports successifs – souvent exclusivement
techniques – auprès des membres du cabinet, et encore
moins lors des rares interviews qu’il a bien voulu accorder
à la presse israélienne et internationale depuis
deux ans.
Ce « mutisme » a été pointé de
manière flagrante dans une interview fleuve donnée
par Sharon à deux journalistes anglophones du quotidien
The Jerusalem Post publiée le 22 avril 2005. A la question
insistante posée par ses interlocuteurs censés offrir
ainsi une nouvelle chance au Premier ministre pour s’expliquer
sur son plan (« Les leaders des résidents juifs de
Judée-Samarie-Gaza (Yésha) main tiennent que vous
ne leur avez jamais expliqué de manière satisfaisante
les avantages nationaux que tirera Israël du démantèlement.
Ils ne sont pas persuadés de l’existence de tels
avantages… Peut-être avez-vous quelque chose d’autre
à dire pour les convaincre et les rassurer ? »),
Sharon répond en termes polémiques et en éludant
toute précision : « Il faut faire la part des choses.
D’abord, j’ai déjà expliqué ces
avantages de nombreuses fois. Quant au fait qu’ils ne sont
pas ‘convaincus’, je vais vous dire pourquoi : c’est
tout simplement parce qu’ils ne veulent pas quitter Gaza…
».
Il fallut attendre de 15 août au soir – vingt quatre
heures avant le début des expulsions par la force au Goush-Katif
– pour l’entendre s’adresser lapidairement aux
Israéliens sur un ton dramatique, dans une très
courte allocution télévisée, en disant ceci
: « Ce n’est pas un secret que, comme de nombreux
autres de nos concitoyens, j’ai moi-même cru et espéré
que nous pourrions rester à Netzarim et à Kfar-Darom
pour toujours. Toutefois, les réalités ont changé
dans ce pays, dans cette région et dans le monde entier
– ce qui nous impose une réévaluation et un
changement de nos positions. (…) Le plan de désengagement,
que j’ai annoncé voilà presque deux ans, constitue
la réponse d’Israël à ces réalités.
Ce plan est bon pour Israël dans tous les scénarios
envisageables…».
La marche « à la
hussarde » face aux obstacles politiques et publics
Il y eût pire encore que
cette absence de sens de type tautologique. Après s’être
débarrassé l’un après l’autre
– tout simplement en les limogeant – de ses ministres
de droite récalcitrants (y compris ceux de son propre parti,
le Likoud) qui lui rappelaient ses promesses électorales
explicites, le chef du gouvernement a continué sa marche
« à la hussarde » pour imposer coûte
que coûte le plan de retrait en violant délibérément
les règles les plus élémentaires de démocratie
interne propre à sa formation : alors qu’il avait
lui-même consenti à la tenue d’un référendum
interne au Likoud pour arrêter la politique de son parti,
il n’a tout simplement pas tenu compte de son résultat
négatif ! Il est vrai que l’avis majoritaire exprimé
par les adhérents du Likoud était fort gênant
pour lui, puisque plus de 60 % avaient repoussé ce programme
de démantèlement lors d’un scrutin démocratique
interne, organisé dans tout le pays en mai 2004…
Une « leçon » qui fut interprétée
à sa manière par Sharon, lequel devait ensuite systématiquement
refuser – malgré les appels pressants lancés
au sein du Likoud et dans toute la droite – d’organiser
un « référendum national » qui aurait
pu sonder l’opinion réelle de tous les électeurs
du pays sur le plan de retrait, en donnant justement une légitimité
sans faille à leur décision souveraine, quelle qu’elle
fût !
(...)