Tsilla
Hershco, détentrice d’un doctorat de l’Université
Bar-Ilan (Israël), est chercheuse au Centre Begin Sadat (BESA)
des études stratégiques (Université Bar-Ilan)
et enseigne au département de Sciences-Po à l’Université
Bar-Ilan. Dr Hershco a publié les livres : Entre
Paris et Jérusalem, La France, le Sionisme et la Création
de l’État d’Israël, Éditions
Honore Champion, 2003 (traduit de l’hébreu) ; Ceux
qui marchent dans les ténèbres verront la lumière,
la Résistance juive en France, la Shoah et la renaissance
d’Israël : 1940-1949, Le Centre de recherche
historique, Yad Tavenkin et les éditions Tcherikover, 2003
(en hébreu).
Premières
pages
Recherché
par les Alliés pour collaboration avec les nazis, le mufti
Hadj Amine al-Husseini fut arrêté en Allemagne, dans
la ville de Constance, le 5 mai 1945, par les troupes d’occupa¬tion
françaises. Le 19 mai 1945, le mufti fut transféré
par les Français dans la région parisienne, puis
dans différentes cachettes à Paris et en banlieue.
Après avoir séjourné environ un an en France,
le mufti disparut de son lieu de détention, en mai 1946.
Cette enquête se fonde en grande partie sur un dossier du
ministère français des Affaires étrangères
consacré à l’affaire du mufti qui présente
et analyse en détail cette affaire du point de vue français
1. Les documents français, longtemps interdits de consultation,
et dont l’accès n’a été rendu
possible que dernièrement, révèlent une abondante
information sur les circonstances de l’arrestation du mufti
et sa « mystérieuse » évasion. Sont
développés, entre autres, les sidérants efforts
investis par les Français pour améliorer les conditions
de détention du mufti, pour esquiver les demandes d’extradition
de ce criminel de guerre et finalement, pour lui permettre de
s’évader. Cette affaire déclencha un tollé
international, d’une part lorsque furent formulées
en Grande- Bretagne, en France, aux États-Unis, en Yougoslavie
et dans les milieux sionistes, d’énergiques demandes
de traduire en justice le mufti pour crimes de guerre, et d’autre
part lorsque le monde arabo-musulman exigea, non moins énergiquement,
la libération du mufti. Les rapports français internes
sur les entretiens avec le mufti, avec les Britanniques, avec
les pays arabes et avec les dirigeants sionistes lèvent
le voile sur ce qui se passait en coulisses chez les décideurs,
les combats, les hésitations et les manipulations qui conduisirent
finalement au départ de France du mufti.
Le
parcours du mufti Hadj Amin al-Husseini
D’après
les documents français, Hadj Amine al-Husseini est né
à Jérusalem en 1884 dans une famille de notables,
originaire du Yémen 3. À la fin de ses études
en Eretz Israël et au Caire, il se rendit en Turquie et,
en 1914, après avoir achevé un cours d’officier,
s’enrôla dans l’armée ottomane.
Après
la Première Guerre mondiale, Hadj Amine al-Husseini revint
en Eretz Israël et se rapprocha des Anglais qui le nommèrent
en 1921 grand mufti de Jérusalem et, un an plus tard, président
du Conseil suprême musulman 4. Les bonnes relations entretenues
avec les Britanniques se gâtèrent lorsque le mufti
prit la tête du mouvement antisioniste et commença
à multiplier les incitations antisionistes et antibritanniques.
En 1931, il organisa à Jérusalem un congrès
panislamique et, malgré l’opposition intérieure
d’États musulmans, réussit à fonder
le Comité musulman international qu’il présida,
recevant ainsi le mandat de représenter la communauté
musulmane dans son ensemble. En 1936, Hadj Amine al-Husseini appela
à la révolte contre le pouvoir britannique en Eretz
Israël et à la lutte contre le yishouv juif dans le
pays 5. L’insurrection aboutit à un échec
après un long combat, et le mufti s’enfuit de Jérusalem.
Arrivé à Beyrouth, il bénéficia d’un
refuge et d’une assistance de la part des Français
dans les années 1937-1939. En octobre 1939, le mufti se
rendit en Irak où il poursuivit ses activités antibritanniques
et établit même des relations avec l’Allemagne.
Il participa à la tentative de révolte fomentée
par Rachid Ali el Gaylani en avril 1941 et quitta l’Irak
lors de son échec. Le grand mufti s’installa en Iran,
puis en 1941, en Italie où il noua d’étroites
relations avec Mussolini, le dirigeant fasciste de l’Italie
allié de l’Allemagne.
En
novembre 1941, Hadj Amine arriva à Berlin où il
fut reçu par le Führer Adolf Hitler en personne. Revenu
en Italie en décembre 1941, il devint, avec Rachid Ali
el Gaylani, l’une des vedettes de la radio nazie en langue
arabe. Après la chute du fascisme en Italie, le mufti retourna
en Allemagne où il continua à diffuser des incitations
à la violence contre les Alliés et contre les Juifs
au cours de ses émissions de radio.
La
comparaison des documents français sur la vie du mufti
avec des travaux dignes de foi sur le même sujet met à
jour les incohérences du document français. Comme
l’interrogatoire du mufti se déroula en français,
on ne peut expliquer ces imprécisions par une incompréhension,
côté français. Ce fut peut-être le mufti
lui-même qui présenta aux Français des versions
contradictoires en vue d’entrer dans leurs bonnes grâces,
principalement pour tout ce qui a trait aux manifestations d’hostilité
envers les Britanniques, comme ce sera également le cas
par la suite. Il se peut que la version française sur l’origine
yéménite de la famille du mufti ait été
destinée à préparer le terrain pour accéder
aux exigences futures des autorités yéménites
de transférer Hadj Amine al-Husseini dans leur pays.
(...)