Philosophe 
                et sémiologue. Auteur de L’éthique 
                à l’âge de la science – K.O. 
                Apel, PUL, 1987 ; Borges ou l’hypothèse de 
                l’auteur, Balland, 1990; Difficile Levinas. 
                Peut-on ne pas être levinassien ? [à paraître 
                aux éditions de l’Eclat, mai 2006] ; collaborateur 
                du Hayek Institute.
              
                « Il faut donc commencer à nouveau d’interpréter 
                Paul »
                (Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, p. 139)
              
                Nietzsche, penseur tardif et tragique de la sécularisation, 
                puis prophète antichrétien d’un nouveau « 
                dieu qui vient », Dionysos, insistait sur le fait que c’est 
                l’apôtre Paul et non Jésus qui est le véritable 
                fondateur du christianisme. Les épîtres de Paul, 
                premiers écrits chrétiens, en sont la source principale 
                bien antérieure aux Évangiles canoniques. Il n’y 
                a donc pas à s’étonner que la lecture de ses 
                épîtres ait en permanence nourri des « retours 
                » à Paul récurrents dans l’histoire 
                du christianisme aux moments tournants de ses « époques 
                », à commencer par Augustin pour la chrétienté 
                médiévale, puis Luther pour les temps modernes. 
                Ce qui paraît plus étonnant aujourd’hui, c’est 
                l’horizon inattendu à partir duquel s’effectue 
                un tel retour, un nouveau paulinisme surgi de l’horizon 
                de la Révolution. Comment doit-on comprendre cela ?
                Par quelles voies d’anciens marxistes tels qu’A. Badiou 
                peuvent-ils trouver de l’intérêt au fondateur 
                du christianisme ? En réalité, c’est dans 
                un contexte polémique de réception où l’on 
                redécouvre un Paul « juif ».
                La résurgence en pleine modernité rationaliste d’une 
                intelligence des phénomènes politiques à 
                l’aide d’une grille d’interprétation 
                dans laquelle les notions de messianisme, d’eschatologie 
                jouent un rôle central, nous renvoie inévitablement 
                à l’apôtre Paul et à ses lettres.
                Cette modernité en « crise », depuis les années 
                20 du siècle écoulé, a été 
                le théâtre d’une lutte entre deux tendances 
                qui ont marqué ses meilleurs penseurs : l’eschatologique 
                et la contre-eschatologie. Or ces deux tendances trouvent dans 
                les épîtres de Paul leur source originelle. Cette 
                lutte se déroule sur le fond d’enjeux enchevêtrés 
                qui sont toujours plus crucialement les nôtres.
                Penser, dans la crise des catégories juridico-politiques 
                classiques (l’État-nation, la citoyenneté, 
                la solidarité internationale des Prolétaires, etc.), 
                les concepts d’une nouvelle forme possible de « communauté 
                » humaine et d’un nouveau sujet. L’apôtre 
                Paul qui, en son temps, s’est voulu le « fondateur 
                d’un nouveau peuple », pourrait apparaître comme 
                le maître d’une nouvelle conscience.
                Interpréter la « modernité » comme époque, 
                parvenir à son auto compréhension correcte. Si elle 
                n’est plus l’évidence immédiate de notre 
                vie, mais une « figure de pensée » dont la 
                silhouette se profile pour un regard rétrospectif (dit 
                « post »-moderne), notre conscience tardive doit s’interroger 
                sur son sens et comprendre ce qu’ont été les 
                Temps modernes, notamment devant les traditions religieuses.
                Dépend-elle intellectuellement du monde prémoderne 
                [comme c’est la thèse dite de la « sécularisation 
                »], ou bien dispose-t-elle au contraire d’une légitimité 
                propre ?
                Notre « modernité » séculière 
                secouée par de nouvelles flambées religieuses (notamment 
                l’islam politique radical), et dont les catégories 
                politiques fondamentales deviennent problématiques, exige 
                de comprendre si ce sont là des résurgences fantomatiques 
                d’un passé déjà passé, ou si 
                elles signifient que la modernité n’est jamais réellement 
                sortie de ce que Leo Strauss appelait « le noeud théologico-politique 
                ».
                Pour toute une génération ayant saisi le présent 
                de son histoire comme inflammation du brandon de la promesse, 
                comme la Jetztzeit – « l’à-présent 
                » des temps (Benjamin) – de la Révolution, 
                c’est-à-dire comme actualité eschatologique, 
                la crise du marxisme oblige de son côté à 
                interroger à nouveau la figure de « l’homme 
                universel » qui s’annonce à la place de celle 
                du Prolétaire dont elle fait son deuil. Se tourner vers 
                les lettres de Paul aujourd’hui, c’est justement interroger 
                les textes théologico-politiques fondateurs de la culture 
                européenne.
                C’est aller au centre de ce « noeud », et au 
                moment où il s’est noué. (...)