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Théologie politique de l’apôtre Paul, pharisien et rebelle
Messianisme, universalisme et révolution devant le
« nouveau peuple » et «  l’autre monde »

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Raphaël Lellouche

Philosophe et sémiologue. Auteur de L’éthique à l’âge de la science – K.O. Apel, PUL, 1987 ; Borges ou l’hypothèse de l’auteur, Balland, 1990; Difficile Levinas. Peut-on ne pas être levinassien ? [à paraître aux éditions de l’Eclat, mai 2006] ; collaborateur du Hayek Institute.


« Il faut donc commencer à nouveau d’interpréter Paul »
(Jacob Taubes, La théologie politique de Paul, p. 139)


Nietzsche, penseur tardif et tragique de la sécularisation, puis prophète antichrétien d’un nouveau « dieu qui vient », Dionysos, insistait sur le fait que c’est l’apôtre Paul et non Jésus qui est le véritable fondateur du christianisme. Les épîtres de Paul, premiers écrits chrétiens, en sont la source principale bien antérieure aux Évangiles canoniques. Il n’y a donc pas à s’étonner que la lecture de ses épîtres ait en permanence nourri des « retours » à Paul récurrents dans l’histoire du christianisme aux moments tournants de ses « époques », à commencer par Augustin pour la chrétienté médiévale, puis Luther pour les temps modernes. Ce qui paraît plus étonnant aujourd’hui, c’est l’horizon inattendu à partir duquel s’effectue un tel retour, un nouveau paulinisme surgi de l’horizon de la Révolution. Comment doit-on comprendre cela ?
Par quelles voies d’anciens marxistes tels qu’A. Badiou peuvent-ils trouver de l’intérêt au fondateur du christianisme ? En réalité, c’est dans un contexte polémique de réception où l’on redécouvre un Paul « juif ».
La résurgence en pleine modernité rationaliste d’une intelligence des phénomènes politiques à l’aide d’une grille d’interprétation dans laquelle les notions de messianisme, d’eschatologie jouent un rôle central, nous renvoie inévitablement à l’apôtre Paul et à ses lettres.
Cette modernité en « crise », depuis les années 20 du siècle écoulé, a été le théâtre d’une lutte entre deux tendances qui ont marqué ses meilleurs penseurs : l’eschatologique et la contre-eschatologie. Or ces deux tendances trouvent dans les épîtres de Paul leur source originelle. Cette lutte se déroule sur le fond d’enjeux enchevêtrés qui sont toujours plus crucialement les nôtres.
Penser, dans la crise des catégories juridico-politiques classiques (l’État-nation, la citoyenneté, la solidarité internationale des Prolétaires, etc.), les concepts d’une nouvelle forme possible de « communauté » humaine et d’un nouveau sujet. L’apôtre Paul qui, en son temps, s’est voulu le « fondateur d’un nouveau peuple », pourrait apparaître comme le maître d’une nouvelle conscience.
Interpréter la « modernité » comme époque, parvenir à son auto compréhension correcte. Si elle n’est plus l’évidence immédiate de notre vie, mais une « figure de pensée » dont la silhouette se profile pour un regard rétrospectif (dit « post »-moderne), notre conscience tardive doit s’interroger sur son sens et comprendre ce qu’ont été les Temps modernes, notamment devant les traditions religieuses.
Dépend-elle intellectuellement du monde prémoderne [comme c’est la thèse dite de la « sécularisation »], ou bien dispose-t-elle au contraire d’une légitimité propre ?
Notre « modernité » séculière secouée par de nouvelles flambées religieuses (notamment l’islam politique radical), et dont les catégories politiques fondamentales deviennent problématiques, exige de comprendre si ce sont là des résurgences fantomatiques d’un passé déjà passé, ou si elles signifient que la modernité n’est jamais réellement sortie de ce que Leo Strauss appelait « le noeud théologico-politique ».
Pour toute une génération ayant saisi le présent de son histoire comme inflammation du brandon de la promesse, comme la Jetztzeit – « l’à-présent » des temps (Benjamin) – de la Révolution, c’est-à-dire comme actualité eschatologique, la crise du marxisme oblige de son côté à interroger à nouveau la figure de « l’homme universel » qui s’annonce à la place de celle du Prolétaire dont elle fait son deuil. Se tourner vers les lettres de Paul aujourd’hui, c’est justement interroger les textes théologico-politiques fondateurs de la culture européenne.
C’est aller au centre de ce « noeud », et au moment où il s’est noué.
(...)

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