Spécialiste
de l’information. Auteur du Livre noir de l’Autorité
Palestinienne (Ed. Café noir, 2004) et d’articles
sur le traitement de l’information.
Premières
pages
En
Occident, la notion de suicide est étroitement liée
à celle de désespoir, de dépression, de peine
sans issue. C’est une notion psychologique qui est dissociée
de celle de crime. Certaines personnes utilisent le suicide comme
cri politique de désespoir, telles ces immolations spectaculaires
en Asie. Les attentats, d’un autre côté, sont
le fait de groupes politiques ou nationalistes extrémistes
dont le spectre va des Brigades rouges à l’IRA en
passant par le PKK et l’ETA (beaucoup de mouvements indépendantistes
ou de peuples opprimés ne recourent cependant pas aux attentats
– Chiapas du Mexique, Tibétains, Ouighours etc.).
Mais attentat et suicide sont deux notions que nous avons du mal
à faire coïncider. Nous privilégions alors
le côté suicidaire de l’attentat-suicide, donc
le côté « désespoir », et non
pas son côté offensif (l’attentat proprement
dit). Pourtant, rien n’est moins faux.
Il
y a trois grands groupes d’attentats-suicides. Celui des
kamikazes japonais lors de la Seconde Guerre mondiale est bien
connu, et leur motivation prenait racine dans un patriotisme exacerbé,
des notions de défense de la patrie jusqu’au-boutistes
comme peut l’être, pour une culture occidentale, la
pratique du hara-kiri. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce sont
les séparatistes tamouls, les Tigres tamouls, hindouistes
mais cependant laïcs, qui pratiquent de nombreux attentats-suicides
à des fins politiques, avec un endoctrinement poussé
de jeunes gens. Leurs cibles sont politiques et économiques.
Dans ces deux cas, kamikazes et Tigres tamouls, les attentats-suicides
n’ont pas de connotation religieuse. Pas de paradis à
la clé. Le troisième grand groupe appartient à
l’islamisme, dont l’origine est beaucoup plus lointaine
qu’on aurait pu le croire, car il faut remonter au XIe siècle
de notre ère pour recenser les premiers attentats-suicides
connus à ce jour. A cette époque, la Mésopotamie
est dominée par les Turcs seldjoukides. Hassan ibn Saba,
un chiite persan, crée une secte ismaélienne extrêmement
rigoureuse de quelques milliers de fidèles, les hashashin
(d’où le mot « assassin » sera tiré).
Cet homme charismatique prend possession avec quelques centaines
de ses hommes d’une forteresse perchée sur les monts
Elbourz (actuel Iran), la forteresse d’Alamut. Ils vivent
là en autarcie et dans des conditions ascétiques.
Régulièrement, des hommes drogués au hachisch
(d’où le nom de la secte) lancent des raids d’attentats-suicides
contre les chefs de l’administration politique et militaire
de l’Empire turc. Leurs frappes sont essentiellement politiques,
mais ce qui demeure commun avec les islamistes d’aujourd’hui
qui prônent et mettent en œuvre les attentats-suicides,
c’est leur promesse du paradis.
Attentat-suicide,
le mal nommé
Nous
parlons de suicide, ils parlent de shahada, terme que nous traduisons
dans ce cas, faute de mieux, par martyre, mais dans cette acception,
la shahada est sans équivalence dans notre vocabulaire.
Il faudrait pouvoir concevoir la notion de tuer en se tuant comme
moyen d’atteindre le paradis, la joie éternelle.
(Cf. notre encadré « L’ambivalence de la shahada
»)
Dans
le mot « attentat-suicide », la partie attentat est
bien revendiquée, mais le côté suicide est
loin d’être assumé. Le suicide est en effet
prohibé par l’islam. Ceux qui prônent les attentats-suicides
comme moyen de lutte ont donc recours à des contorsions
exégétiques pour trouver dans un verset du Coran
une légitimation : « Ne crois surtout pas que ceux
qui sont tués dans le chemin de Dieu sont morts. Ils sont
vivants ! » (Coran, III, 169). Ces suicidés ne sont
pas considérés comme des suicidés mais comme
des martyrs, à quelques exceptions près comme dans
certains médias arabes israéliens (tel le Jerusalem
Times) où l’expression amaliyya intihariyya est plus
volontiers employée, qui veut dire «opération
suicide ». Le concept de martyre n’est pas spécifiquement
musulman, ni même spécifiquement religieux. Dans
le contexte de la deuxième intifada palestinienne, le terme
de « martyr » s’applique à tous les individus
tués, blessés ou emprisonnés. Il est même
appliqué à des personnalités palestiniennes
qui, depuis septembre 2000, meurent de causes naturelles (comme
par exemple Fayçal Husseini, ministre palestinien mortd’un
infarctus en 2001). Quand un Palestinien meurt en ayant perpétré
une attaque-suicide, le terme employé en arabe est amaliyya
istishhadiyya (on retrouve la racine du mot shahid), ou bien encore
amaliyya fida’iyya : une opération martyre ou une
opération sacrificielle.
Autrement dit, ce martyr-là est un shahid ou un fidaï
(le terme fedayin vient de fidaï), termes qui ont une connotation
fortement positive et expriment l’auto-sacrifice. D’ailleurs,
les premiers à entrer au paradis sont les shahids.
Si on peut imaginer qu’au XIe siècle il était
aisé de croire en des promesses de paradis exubérant
et immédiat, comment le Hamas, pour ne prendre que lui,
s’y prend-il aujourd’hui pour recruter des candidats
à des opérations sans retour ?.
(...)