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Eden – Hamas
Une idée du paradis

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Catherine Leuchter

Spécialiste de l’information. Auteur du Livre noir de l’Autorité Palestinienne (Ed. Café noir, 2004) et d’articles sur le traitement de l’information.

 

Premières pages

 

En Occident, la notion de suicide est étroitement liée à celle de désespoir, de dépression, de peine sans issue. C’est une notion psychologique qui est dissociée de celle de crime. Certaines personnes utilisent le suicide comme cri politique de désespoir, telles ces immolations spectaculaires en Asie. Les attentats, d’un autre côté, sont le fait de groupes politiques ou nationalistes extrémistes dont le spectre va des Brigades rouges à l’IRA en passant par le PKK et l’ETA (beaucoup de mouvements indépendantistes ou de peuples opprimés ne recourent cependant pas aux attentats – Chiapas du Mexique, Tibétains, Ouighours etc.). Mais attentat et suicide sont deux notions que nous avons du mal à faire coïncider. Nous privilégions alors le côté suicidaire de l’attentat-suicide, donc le côté « désespoir », et non pas son côté offensif (l’attentat proprement dit). Pourtant, rien n’est moins faux.

Il y a trois grands groupes d’attentats-suicides. Celui des kamikazes japonais lors de la Seconde Guerre mondiale est bien connu, et leur motivation prenait racine dans un patriotisme exacerbé, des notions de défense de la patrie jusqu’au-boutistes comme peut l’être, pour une culture occidentale, la pratique du hara-kiri. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce sont les séparatistes tamouls, les Tigres tamouls, hindouistes mais cependant laïcs, qui pratiquent de nombreux attentats-suicides à des fins politiques, avec un endoctrinement poussé de jeunes gens. Leurs cibles sont politiques et économiques. Dans ces deux cas, kamikazes et Tigres tamouls, les attentats-suicides n’ont pas de connotation religieuse. Pas de paradis à la clé. Le troisième grand groupe appartient à l’islamisme, dont l’origine est beaucoup plus lointaine qu’on aurait pu le croire, car il faut remonter au XIe siècle de notre ère pour recenser les premiers attentats-suicides connus à ce jour. A cette époque, la Mésopotamie est dominée par les Turcs seldjoukides. Hassan ibn Saba, un chiite persan, crée une secte ismaélienne extrêmement rigoureuse de quelques milliers de fidèles, les hashashin (d’où le mot « assassin » sera tiré). Cet homme charismatique prend possession avec quelques centaines de ses hommes d’une forteresse perchée sur les monts Elbourz (actuel Iran), la forteresse d’Alamut. Ils vivent là en autarcie et dans des conditions ascétiques. Régulièrement, des hommes drogués au hachisch (d’où le nom de la secte) lancent des raids d’attentats-suicides contre les chefs de l’administration politique et militaire de l’Empire turc. Leurs frappes sont essentiellement politiques, mais ce qui demeure commun avec les islamistes d’aujourd’hui qui prônent et mettent en œuvre les attentats-suicides, c’est leur promesse du paradis.

Attentat-suicide, le mal nommé

Nous parlons de suicide, ils parlent de shahada, terme que nous traduisons dans ce cas, faute de mieux, par martyre, mais dans cette acception, la shahada est sans équivalence dans notre vocabulaire. Il faudrait pouvoir concevoir la notion de tuer en se tuant comme moyen d’atteindre le paradis, la joie éternelle. (Cf. notre encadré « L’ambivalence de la shahada »)

Dans le mot « attentat-suicide », la partie attentat est bien revendiquée, mais le côté suicide est loin d’être assumé. Le suicide est en effet prohibé par l’islam. Ceux qui prônent les attentats-suicides comme moyen de lutte ont donc recours à des contorsions exégétiques pour trouver dans un verset du Coran une légitimation : « Ne crois surtout pas que ceux qui sont tués dans le chemin de Dieu sont morts. Ils sont vivants ! » (Coran, III, 169). Ces suicidés ne sont pas considérés comme des suicidés mais comme des martyrs, à quelques exceptions près comme dans certains médias arabes israéliens (tel le Jerusalem Times) où l’expression amaliyya intihariyya est plus volontiers employée, qui veut dire «opération suicide ». Le concept de martyre n’est pas spécifiquement musulman, ni même spécifiquement religieux. Dans le contexte de la deuxième intifada palestinienne, le terme de « martyr » s’applique à tous les individus tués, blessés ou emprisonnés. Il est même appliqué à des personnalités palestiniennes qui, depuis septembre 2000, meurent de causes naturelles (comme par exemple Fayçal Husseini, ministre palestinien mortd’un infarctus en 2001). Quand un Palestinien meurt en ayant perpétré une attaque-suicide, le terme employé en arabe est amaliyya istishhadiyya (on retrouve la racine du mot shahid), ou bien encore amaliyya fida’iyya : une opération martyre ou une opération sacrificielle.
Autrement dit, ce martyr-là est un shahid ou un fidaï (le terme fedayin vient de fidaï), termes qui ont une connotation fortement positive et expriment l’auto-sacrifice. D’ailleurs, les premiers à entrer au paradis sont les shahids.
Si on peut imaginer qu’au XIe siècle il était aisé de croire en des promesses de paradis exubérant et immédiat, comment le Hamas, pour ne prendre que lui, s’y prend-il aujourd’hui pour recruter des candidats à des opérations sans retour ?. (...)

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