Docteur
en médecine, pédiatre, praticien hospitalier, néonatologue,
résident du Conseil d’éthique de l’Hopital
Debrousse, auteur, d’articles dans le domaine de l’éthique
médicale.
Premières
pages
Le
mois de novembre 2005 a été marqué par des
manifestations aiguës et disséminées de violence
urbaine qui sont apparues principalement dans les banlieues, mais
aussi dans certains cas plus limités il est vrai, dans
le centre de certaines villes. Cette éruption sociale a
frappé les citoyens français et les observateurs
étrangers par leur caractère épidémique,
par leur disproportion avec les incidents initiaux, ainsi que
par leur durée. De plus, le retentissement médiatique
de ces évènements a oscillé entre les reportages
alarmistes en raison du caractère spectaculaire de ces
manifestations, d’une part, et l’installation lente
d’une occultation progressive, d’autre part. Les chiffres
concernant le nombre de voitures brûlées n’étaient
plus rapportés, tandis que les incendies de voiture n’étaient
plus mentionnés.
Devant
de telles manifestations d’altération civile, il
importe, au-delà de la crudité des faits, d’essayer
de les expliquer (par les causes et les motivations), de les comprendre
(en leur donnant un sens) et de les interpréter (en les
intégrant à un savoir plus large, notamment en vue
d’une action adaptée).
Les
faits seront rappelés donc rapidement dans la continuité
avec les violences urbaines antérieures. Les facteurs d’explication,
de compréhension et d’interprétation tournent
le plus souvent autour d’enjeux économiques (le chômage),
sociologiques (urbanisation, immigration et structures familiales),
psychologiques (avec la démission de l’autorité
parentale et scolaire) ou politiques (les jeunes des banlieues
constituant, pour certains, le nouveau prolétariat). Le
rôle de la perte d’autorité parentale et sociale
sur la déstabilisation des jeunes nous paraît un
facteur primordial. Le chômage, l’urbanisation, les
facteurs politiques ne semblent pas vraiment déterminants
pour la plupart des observateurs de la violence sociale, d’autant
qu’ils pourraient aussi être la conséquence
de ces violences. C’est pourquoi nous envisagerons l’herméneutique
de ces évènements dans le cadre d’une approche
différente : celle qui s’intéresse à
la falsification des préférences, c’est-à-dire
au hiatus qui existe entre les préférences sociales
et les préférences personnelles. Cette théorie
a été proposée par un professeur musulman
et d’origine turque qui enseigne à la fois l’économie
politique ainsi que la pensée et la culture islamique à
l’Université de Californie du Sud. Le but de cet
article est donc de confronter ces évènements avec
l’approche de la falsification des préférences
afin de déceler la part de ces évènements
qui relève de l’inefficacité de l’action
sociale face à ce problème et à travers elle
de la responsabilité d’un travestissement des interprétations
et des préférences des citoyens. Le rôle de
ce facteur devrait permettre non seulement de rendre compte, pour
une large part, de ces phénomènes socio-politiques
et d’envisager à leur sujet une approche plus positive
en termes de propositions.
La
montée en puissance de la violence depuis 1990
La
violence sociale correspond pour la police nationale à
des actes ainsi recensés : racket, coups et blessures,
rixes, règlements de compte, vols avec violence, razzias
sur les commerces, incendies de biens publics et privés,
dont les véhicules, rodéos de voitures volées,
violences criminelles du fait des bandes, violences collectives
anti-policières ou à visée institutionnelle,
représailles pour instituer la loi du silence, etc…
Dès le début de l’année 1990, on relève
ainsi des violences anti-institutionnelles, qui se criminaliseront
par la suite. Elles prendront au premier semestre 2004 un caractère
parfois insurrectionnel (2, p. 19), avec agressions contre les
forces de l’ordre, que ce soit sous la forme d’attaques
directes de commissariats de police, ou de guet-apens tendus aux
patrouilles de police ou de gendarmerie. (...)