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POST SCRIPTUM La fin de la « laïcité ouverte »

 

Publié dans le numéro 1 en Mars 2006

Shmuel Trigano

 

Premières pages

 

L’article de Jacques Amar éclaire de façon très informée et structurée une situation pratique qui relève presque de l’ordre de l’indicible, tant elle se développe dans les interstices de la réalité, voire de la malséance, tant elle met à mal le consensus dominant. La lecture rapide d’un lecteur non renseigné pourrait tout aussi bien induire une mécompréhension radicale car l’idéologie dominante ne retiendrait de ce discours qu’une revendication irrecevable. L’évolution des mœurs et l’investissement idéologique du thème de la laïcité, depuis quinze ans, obscurcies par le langage indirect du politiquement correct, a complètement brouillé les données réelles de la situation.

Le lecteur informé de l’histoire des 50 dernières années resituerait au contraire dans la longue perspective de l’histoire de l’après-guerre un tel point de vue. Il y verrait un des nombreux symptômes de la fin d’une époque, l’indice de la mutation de la laïcité. Le désarroi du Juif pratiquant auquel cette analyse donne voix enregistre en effet une évolution drastique qui s’est produite dans notre pays et qui a grandement modifié son statut pratique. Il faut savoir en effet que ses demandes dérogatoires pour exercer sa religion étaient jusqu’au début des années 1990 acceptées et honorées par les institutions. C’était l’époque de ce qu’un historien du catholicisme, André Latreille, responsable des cultes en 1947 au ministère de l’intérieur, avait nommé, dans les années 1960, « la laïcité ouverte ». Il faisait en effet référence à une nouvelle interprétation, plus libérale, de la loi de 1905 qui se dégageait d’un ensemble de décisions de jurisprudence des tribunaux français et d’actes administratifs. Elles favorisaient les institutions religieuses. Celles-ci pouvaient désormais recevoir des subventions publiques indirectes (legs, dons, libéralités). Les municipalités étaient autorisées à leur concéder des baux emphytéotiques. Elles se voyaient autorisées à sortir sur la voie publique à l’occasion de processions et de célébrations religieuses. La nouveauté la plus grande cependant consistait à reconnaître de facto le droit privé des Églises. Des prêtres se voyaient interdire de créer des associations cultuelles sans l’autorisation de leur évêque. Le Consistoire se voyait concéder le monopole du label cachère. Les instances religieuses gagnaient ainsi une relative autonomie, supérieure à celle des droits individuels. La laïcité ouverte permettait aux collectivités religieuses de manifester leur identité dans la société civile et la culture. Les illustrations dans les différentes religions sont nombreuses. Ce fut justement un âge d’or pour la communauté juive.
L’arrivée de l’islam sur la scène française a mis un terme à cette bénévolence de la part de l’État. La première affaire du foulard, à l’époque de la célébration du Bicentenaire de la Révolution, en 1989, en fut le premier signal. Un courant « républicaniste » naît à ce moment-là qui fait de la laïcité son cheval de bataille et en impulse en fait une nouvelle version. C’est la fin de la laïcité ouverte. Cette nouvelle interprétation concerne avant tout l’islam, plus que les religions concordataires qui, depuis belle lurette, ne posaient aucun problème et n’avaient aucun problème. A vrai dire, dans un pays où les vraies difficultés ne sont jamais affrontées pour ce qu’elles sont, politiquement correct oblige, la question de l’islam et de son rapport à la laïcité constitue un problème différent de celui, politique et national, concernant l’intégration d’une population récente. On privilégia par faiblesse politique et morale la prisme de la religion pour gérer un problème politique. Le fait que tout le conflit autour de la laïcité se soit cristallisé autour du voile en est une bonne illustration. L’affaire a été vécue pratiquement dans sa signification nationale alors qu’idéologiquement on en rendit compte en termes religieux. Le fait que l’argument essentiel des opposants au voile fut le respect de la neutralité de l’École pas celui de l’identité nationale en est la meilleure preuve. Le courant républicaniste n’a pas eu la force d’assumer sa défense et illustration de l’identité nationale. C’est ce qu’ils pensaient profondément. C’est sans doute ce à quoi pensaient les activistes de l’islam : la multiplication du voile aurait changé l’aspect de la société et des mœurs françaises, à travers un marquage symbolique du territoire. On se préoccupa ainsi formellement de l’entrée de l’islam dans la laïcité alors qu’on pensait à l’intégration dans la nation des immigrés. C’est la laïcité et donc la religion qui sont devenues le moyen de gestion d’une question nationale au risque d’une confusion générale devenue depuis inextricable. (...)

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