Professeur 
                des Universités, auteur de L’E(x)clu, entre Juifs 
                et chrétiens (Denoël, 2003).
                
              Premières 
                pages
              Le 
                retour à Paul de certains philosophes contemporains constitue 
                un phénomène idéologique dont la pleine signification 
                nous échappe encore du fait de manque de recul. Tout en 
                confessant leur athéisme, ils trouvent dans sa doctrine 
                une politique adéquate à l’ère de la 
                mondialisation, qui plus est dans la ligne de leur adhésion 
                antérieure au marxisme. En Paul, Alain Badiou recherche 
                une « nouvelle figure militante, appelée à 
                succéder à celle que mirent en place au début 
                du siècle Lénine et les Bolchéviks et qu’on 
                peut dire avoir été celle du militant du parti ». 
                Ils font de Paul « un Lénine dont le Christ aurait 
                été le Marx équivoque ». En somme, 
                en Paul, Badiou trouve la trame d’un renouvellement du marxisme. 
                
              Je 
                ne discuterai pas ici cet alliage paradoxal en son fond mais à 
                travers l’un des aspects fondamentaux de la pensée 
                paulinienne qu’adoptent sans sourciller les adeptes du retour 
                à Paul (et qui n’est sans doute pas sans raviver 
                quelques vestiges du marxisme) : la question juive. On découvre 
                en effet avec stupéfaction que la lecture qu’ils 
                font de Paul transpose dans le contemporain des schémas 
                intellectuels (en l’occurrence mythologiques) dont l’histoire 
                a démontré la potentialité éminemment 
                nocive et que les chrétiens tentent de conjurer aujourd’hui 
                dans leur enseignement officiel. Les Juifs d’aujourd’hui 
                (et notamment Israël) sont, certes, les premiers concernés 
                mais la figure qui est à nouveau dessinée d’eux 
                a de bien plus larges implications par sa portée idéologique, 
                au regard de l’un des principaux intérêts de 
                la redécouverte de Paul : l’universel, tel que le 
                post modernisme le pense, post-national. « Le geste inouï 
                de Paul est de soustraire la vérité à l’emprise 
                communautaire, qu’il s’agisse d’un peuple, d’une 
                cité, d’un empire, d’un territoire ou d’une 
                classe sociale ». « Que veut Paul ? Sans doute extirper 
                la Nouvelle (l’Évangile) de la stricte clôture 
                où la laisserait qu’elle ne vaille que pour la communauté 
                juive ». Se référant de toute évidence 
                à la mémoire de la Shoa, Badiou fait l’apologie 
                d’un « universel (qui) ne tolère qu’on 
                l’assigne à une particularité ni n’entretient 
                de rapport direct avec le statut – dominant ou victimaire 
                – des lieux d’où émerge la proposition 
                ». « Juif entre les Juifs et fiers de l’être, 
                Paul ne veut que rappeler qu’il est absurde de se croire 
                propriétaire de Dieu et qu’un événement 
                où il est question de triomphe de la vie sur la mort, quelques 
                soient les formes communautaires (…) active le “pour 
                tous” ». « Ce qu’il revient en propre 
                à Paul d’avoir établi, est qu’il n’y 
                a de fidélité à un tel événement 
                que dans la résiliation des particularismes communautaires 
                ». « L’événement rend obsolète 
                le marquage antérieur et la nouvelle universalité 
                ne soutient aucun rapport privilégié avec la communauté 
                juive ». « Il n’est pas exagéré 
                de dire que ces énoncés « minoritaires » 
                sont proprement barbares ». Paul souhaitait « être 
                délivré des incrédules de la Judée 
                (Rm 15,31) ». C’est la moindre des choses pour qui 
                n’identifie sa foi que par le retour sur lui même 
                d’une déposition des différences communautaires 
                et coutumières ». Ce que Badiou exalte dans Paul, 
                c’est « la singularité universalisable » 
                « qui fait nécessairement rupture avec la singularité 
                identitaire ». « Il s’agit de faire valoir une 
                singularité universelle, à la fois contre les abstractions 
                établies (juridiques alors, économiques aujourd’hui) 
                et contre les revendications communautaires et particularistes 
                ».Cette singularité universelle tant recherchée 
                est donc à l’opposé de la figure juive (tout 
                en ayant un besoin vital d’elle pour se poser). 
              Badiou 
                réitère ici en fait la logique paulinienne du « 
                ni Juif ni Grec » qui passe pour la formule de l’universel. 
                Et cela donne l’occasion d’entendre à nouveau 
                la litanie des antinomies pauliniennes sur le Juif comme lettre 
                : « la lettre tue… La lettre mortifie le sujet en 
                tant qu’elle sépare sa pensée de sa toute 
                puissance ». Il est question du « réel persécutoire 
                de la logique identitaire », de la loi réservée 
                à une communauté, du « terrible commandement 
                de la lettre » 16, du « marquage communautaire », 
                autant de catégories classificatoires pour les Juifs qui 
                se trouvent de surcroît dangereusement transposées 
                dans le domaine économique (marché mondial oblige 
                !) : « rien de plus offert à l’invention de 
                nouvelles figures de l’homogénéisation monétaire 
                qu’une communauté et son ou ses territoires. Il faut 
                ce semblant d’une non-équivalence pour que l’équivalence 
                soit elle même un processus… logique capitaliste de 
                l’équivalent général et logique identitaire 
                et culturelle des communautés ou des minorités formant 
                un ensemble articulé ». En somme le particularisme 
                juif est la poutre maîtresse du capitalisme mondial. Marx 
                n’est pas mort. (...)