Premières
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Depuis
trois ans, en France, la « question noire »,
le « problème noir » sont devenus l’objet
d’un large débat. Des réunions, des
cercles de discussion, des conférences, des colloques
et plusieurs organisations ont même vu le jour. Pourquoi
les Noirs de France ont-ils aujourd’hui tous les honneurs
de l’actualité française ?
Qu’est-ce
qui a subitement changé dans leur condition pour
qu’ils méritent autant d’attention et
de publicité ? Et que veulent les Noirs de France
eux-mêmes ?
On
ne peut répondre à toutes ces questions sans
faire le constat suivant : l’extrême sociologisation
de la condition noire a fait passer au second plan sa dimension
existentielle. Sous la question « comment les Noirs
vivent-ils en France ? », une question plus importante
se pose : « quel est leur sentiment exis¬tentiel
? » Seule une réflexion critique sur ce sentiment
qui englobe pratiquement tous les domaines de la vie des
Noirs en France permet de mettre en perspective le débat
actuel sur la reconnaissance, voire la réhabilitation
de leur mémoire.
En
vérité, la République est à
l’épreuve de l’identité noire
dans toute son hété¬rogénéité.
Le Noir ne peut renoncer à son identité propre,
faite de racisme, de déportation et de colonisation.
Or, le système de relations sociales et politiques
né de 1789 sur lequel vit toujours ce pays a tout
fait pour bannir la question d’identité, qu’elle
soit ancestrale, réelle ou fantasmatique. La République
entre en contact avec l’identité noire sur
fond d’une incompréhension de principe. Comme
l’a si bien vu Shmuel Trigano, ce pays n’a pu
se constituer comme État que dans « une entreprise
de fusion qui éradiquait identités, langues
et instances régionales ou collectives1 ».
La
place de la mémoire noire dans le récit national
est source de divisions et de débats acharnés
dans la société française. Et, loin
de recréer la cohésion sociale autour d’idéaux
communs à défendre, ces débats n’ont
fait qu’accentuer les fractures, la dislocation du
tissu social et la désagrégation de l’État
républicain. Comme si ce pays n’avait rien
appris, et rien compris de son histoire.
Africains
et Antillo-Guyanais taisent leurs divergences et font cause
commune pour la reconnaissance et l’inscription officielles
de leur mémoire dans la mémoire nationale.
Car, la mémoire ne se divise pas. Désormais,
les Noirs expri¬ment leurs souffrances et souhaitent
que leur passé ne tombe plus dans l’oubli et
qu’il soit pris en compte dans tous les grands processus
décisionnels.
Mais
ce débat a aussi vu la montée sur la scène
publique de groupuscules excentriques, voire extrémistes
au sein de la communauté noire. Certes, ils sont
minoritaires mais bénéficient d’une
forte médiatisation. Le débat sur la mémoire
a pris, avec l’entrée fracassante de ces groupuscules
néo-identitaires, une forte tournure idéologique,
théologique, et politique. À tel point qu’actuellement,
trois courants se livrent une bataille sans merci pour l’affirmation
d’un leadership dans la communauté noire :
les nihilistes, les activistes, les politiques.
Au
fond, le débat sur la mémoire noire est piégé.
Le reconnaître ne veut pas dire s’en réjouir.
La France connaît-elle le développement d’une
vision ethnocentrique de la mémoire et de l’histoire
? Comment réconcilier les mémoires particulières
pour mieux vivre ensemble dans ce pays ?
Exigence
de reconnaissance, exigence de vérité
On
a coutume de dire que la politique n’est pas procédure
de vérité mais de légi¬timité.
Le déni de mémoire dont les Noirs de France
ont été longtemps victimes, est le produit,
le résultat d’un mensonge politique bien construit.
Celui-ci trouve ses sources dans l’amnésie
française : « Tu ne rappelleras pas les malheurs.
Ou les maux des événements passés !
» Selon Aristote, l’amnésie ou anamnèse
permet d’« user politiquement du malheur pour
initier le consensus ». L’histoire républicaine
n’a pas pris, malheureusement une telle direc¬tion.
La fin de l’étatisation de la mémoire
et de l’histoire des Noirs en France a mis en évidence
l’idée selon laquelle la République
s’est bâtie sur « un mépris absolu
et total de la vérité 2 ». L’homme
républicain n’a fait que baigner depuis des
siècles dans le mensonge sur la mémoire noire.
(…)