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Le courage de la différence
en mémoire de Janine Chasseguet-Smirgel

Paru dans le numéro 2, juin 2006

Dominique Bourdin

Psychanalyste

 

Premières pages

Mesurons-nous tout ce que nous devons à la pensée et à l’œuvre de Janine Chasseguet-Smirgel ? Elle a été à plusieurs reprises, pour la psychanalyse française, un aiguillon sans complaisance capable de poser avec une audace sans faille et une clarté exigeante des enjeux essentiels. Elle a fait connaître à l’étranger, surtout aux USA et en Amérique latine, mais aussi en Europe, une version accessible et riche de la psychanalyse française, centrée sur une compréhension très aiguë de l’articulation entre le narcissisme et l’œdipe. Intransigeante sur le caractère organisateur de l’œdipe et son établissement de la différence des générations et des sexes, elle y articule les apports de son mari Béla Grunberger sur le narcissisme, et n’hésite pas à appliquer directement ses vues psychanalytiques à la création culturelle et à la vie sociale.

Dès 1964, elle affirme avec force son refus du monisme phallique dans la compréhension psychanalytique de la sexualité féminine. L’envie du pénis peut se rencontrer cliniquement, mais c’est l’avatar d’un échec ou d’une difficulté dans l’élaboration de la féminité ; celle-ci doit être décrite pour elle-même et non par référence au seul masculin. La fougue de celle qui a toujours défendu la place significative des non-médecins dans la psychanalyse, comme celle des femmes dans la société, s’accompagne de la rigueur d’analyse d’un groupe de travail qui incluait notamment Joyce Mac Dougall et Christian David. En consonance avec le mouvement social d’émancipation des femmes, et malgré les résistances de l’époque, Janine Chasseguet pose ainsi la question de la féminité d’une manière renouvelée.

En 1973, dans son rapport au congrès des langues romanes, c’est la fonction narcissique discussion.narcissique de l’idéal qui est ouverte à la discussion. Sans nier les formes régressives ou destructrices de l’idéalisation, notamment dans le fonctionnement des groupes, Janine Chasseguet montre l’importance d’un idéal du moi porteur d’une ouverture sur l’avenir, permettant une « maturation » psychique progressive. L’idéal du Moi et la maladie d’idéalité (1973) fut une contribution essentielle à une réévaluation du narcissisme dont on a pu voir par la suite, chez nombre d’auteurs, la fécondité clinique.

Temps et changement sont en effet décisifs. Ce qui va différencier l’œuvre de la réalisation perverse, c’est l’acceptation du décalage entre soi-même et l’idéal visé, c’est la place de la latence et le temps de la maturation, c’est l’acceptation des exigences de l’élaboration. Munie de cette clé d’interprétation, Janine Chasseguet peut interroger avec intrépidité dans Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité (1971) les œuvres littéraires et cinématographiques : la psychanalyse n’est pas cantonnée au soin de la souffrance psychique, elle a son mot à dire sur la culture et sur la société.

Le même mouvement lui permet de poser avec force l’imposture de la solution perverse. C’est le rossignol vivant qui peut guérir l’empereur de Chine, pas l’automate fabriqué, plus brillant peut-être, mais qui n’a pas l’authenticité de la vie. Janine Chasseguet a eu l’audace de penser les réalisations humaines en termes de valeur, avec des critères d’authenticité et de fausseté. Cette position est cohérente avec la place essentielle qu’elle reconnaît au surmoi œdipien, et avec une conception de la maturation qui prend appui sur la théorie des stades de développement d’une façon qui est moins génétique que structurale : ce qui importe est moins l’histoire détaillée du développement libidinal que les lacunes ou court-circuits qu’il peut comporter. En centrant son analyse de la perversion sur la dénonciation du faux-semblant, dans son ouvrage Éthique et esthétique de la perversion (1984), Janine Chasseguet prend le risque d’une articulation explicite entre perversion et perversité, restée très présente à sa pensée jusqu’à ses derniers jours. (…)

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