Premières
pages
«Ombres
et lumières sur la guerre d’Algérie
en France» ? Effectivement, on a bien l’impression
que la guerre d’Algérie a été
vécue en France, depuis 1962, dans une alternance
de moments d’ombres (silences, oublis mais aussi
ombres menaçantes et planantes sur les débats
publics, sur l’actualité, sur la réalité
quotidienne de certains Français qu’on pense
à l’état d’urgence mis en place
en octobre 2005 par exemple) mais aussi de moments de
lumières qui ont plus souvent été
des moments où la guerre d’Algérie
se retrouvait sous les projecteurs d’une lumière
essentiellement médiatique que des moments où
la lumière aurait été celle d’un
éclaircissement, d’une clarification des
enjeux et de la connaissance de ce passé.
Ces
rythmes d’émergence de la guerre d’Algérie
dans la société française sont décennaux
et, globalement, sans relation avec ce qui se passe en
Algérie. En revanche il y a bien une histoire de
cette mémoire enchâssée dans une plus
vaste mémoire nationale, notamment en relation
avec le passé que l’on com¬mence à
identifier comme problématique à partir
de la fin des années 1960 : le passé de
l’État français, de Vichy.
On
comprend ainsi pourquoi la question de la place de l’État
dans les pro¬blèmes de mémoire et dans
les dispositifs de reconnaissance est cruciale. Le problème
est en même temps noué d’une manière
beaucoup plus complexe pour la guerre d’Algérie
que pour Vichy dans la mesure où l’État
qui aurait éven¬tuellement failli (que ce soit
en termes d’actions concrètes accomplies
pendant la guerre, ou de discours tenus sur les actions
tenues), cet État est le même que celui dont
on attend réparation. Il est le même au sens
très précis où le régime républicain
dans lequel nous vivons depuis 1962 est aussi celui sous
lequel a été menée la moitié
de la guerre d’Algérie. C’est pourquoi,
après avoir présenté les rythmes
de mémoire, je m’attarderai, dans un second
temps, sur la question plus spécifique du rôle
de l’État dans cette histoire nationale.
Chronologie
de la mémoire de la guerre
La
première décennie qui suit la guerre est
caractérisée, dans un premier temps, par
un relatif désintérêt public pour
la question de la guerre d’Algérie. Des événements
comme la censure du film de Pontecorvo, La Bataille d’Alger,
lion d’or à Venise en 1966, témoignent
cependant que la question est brûlante et encore
actuelle. Quand la guerre d’Algérie émerge
dans le débat public, c’est d’ailleurs
d’abord ainsi : comme une question d’actualité,
avec les différentes amnisties qui ont lieu de
1964 à 1968 (cette dernière aboutissant
au retour en France des membres de l’OAS ayant choisi
l’exil ou à la sortie de prison des condamnés).
Cette
première décennie est celle d’une
présence de la guerre pas complètement finie,
dont le sens n’a pas été complètement
bouclé par l’État et dont les acteurs
n’ont pas encore complètement acquis un nouveau
statut social.
À
partir de la fin des années 1960, plusieurs événements
témoignent du fait que la guerre n’est pas
finie. À côté des amnistiés,
les anciens combattants luttent aussi pour la reconnaissance
de leur statut. En 1968, ils obtiennent officiellement
la reconnaissance de la nation et en 1974, enfin, la carte
d’ancien combattant.
On
peut aussi inclure dans la même catégorie
d’événement les premières manifestations
et grèves de la faim dans les camps où les
anciens harkis ont été installés
dans le Sud de la France, en 1974 et 1975.
Le
début des années 1970 voit émerger
un important débat par livres interposés
sur la pratique de la torture pendant la guerre et ses
éventuelles justifications. Les termes de la controverse
comme ses principaux acteurs témoignent aussi de
la reproduction de ce qui s’est passé pendant
la guerre, notamment en 1957, autour de l’action
des troupes du général Massu à Alger.
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