RECHERCHE


Sommaires

Editoriaux

Articles

Auteurs

Evènements

Publications


 

La haine de la mère dans l’identité féminine émancipée

Paru dans le numéro 2, juin 2006

Janine Chasseguet-Smirgel

 

Psychanalyste, auteur d’une œuvre abondante (cf. in memoriam), récemment décédée.

 

Premières pages

«Ah ! Il aurait fallu que les hommes puissent faire des enfants par un autre moyen, sans qu’il existât une race féminine : ainsi les hommes ne connaîtraient plus le malheur ! » Tel est le cri de Jason dans Médée d’Euripide (Vème siècle av. J.-C.).

La misogynie traditionnelle et la théorie freudienne de la sexualité Depuis le livre La Sexualité féminine, Recherches psychanalytiques nouvelles (1964), paru avant la grande vague féministe, je me suis attachée à l’hypothèse selon laquelle la condition féminine a été marquée, à travers les âges, par des sentiments d’envie envers la maternité et par le besoin d’inverser la situation de dépendance dans laquelle le nourrisson inerme se trouve par rapport à sa géni¬trice, inversion qui est si éloquemment figurée dans le mythe de la naissance d’Ève, tirée de la côte d’Adam.

On sait que l’enfant humain naît prématuré. Freud évoque de façon saisissante dans Inhibition, Symptôme, Angoisse (1926) les conséquences de ce « facteur biologique » qui provoque une « longue période durant laquelle le petit de l’espèce humaine se trouve dans une condition d’impuissance et de dépendance. Son existence intra-utérine est plus courte que celle de la plupart des animaux, et il est jeté en ce monde dans un état moins achevé. » Les effets de cette longue période de dépendance de l’être humain vis-à-vis de sa génitrice constitue un point capital pour la compréhension de la condition féminine.

C’est Mélanie Klein qui, en élaborant son concept d’envie, donne toute sa place aux désirs, dans les deux sexes, de s’emparer, voire de détruire quand l’avidité et la haine sont prévalents, l’aptitude de la mère à mettre au monde des enfants. « La capacité de donner et de préserver la vie est ressentie comme le don le plus précieux et la créativité devient ainsi la cause la plus profonde de l’envie. » (1957) En fait, la créativité de la mère et la dépendance à son endroit sont en étroite relation. La créativité s’exprime (réellement et symboliquement) à travers le sein. « Le sein nourricier représente pour le nourrisson quelque chose qui possède tout ce qu’il désire. Il est source inépuisable de lait et d’amour qu’il se réserve pourtant pour sa propre satisfaction. » C’est la non-disponibilité permanente et absolue du sein et de tout ce qu’il symbolise, le désir et l’impossibilité d’être le sein, donc la dépendance à laquelle le bébé est soumis, qui accroissent l’envie, l’avidité et la haine destructrices.

Il semble que l’on puisse tenir de nombreux aspects de la théorie freudienne de la sexualité humaine comme déni du rôle de la dépendance primaire à la mère qui façonne pourtant, de manière décisive, la relation des hommes et des femmes à la mère, des sexes entre eux, ainsi que leur translation dans l’espace social.

Le monisme sexuel phallique
Le monisme sexuel phallique est une pièce maîtresse de la théorie freudienne de la sexualité. La fille ignore consciemment et inconsciemment qu’elle possède un vagin. Parallèlement, le garçon ignore l’existence, chez la fille, d’un organe destiné à être pénétré. La complémentarité entre les sexes est, du même coup, pareillement ignorée et il n’y a pas d’attirance « naturelle » entre les sexes. La petite fille se croit châtrée, pourvue d’un seul organe sexuel, le clitoris, équivalent d’un pénis tronqué. Le garçon, à la vue du sexe féminin dépourvu de pénis, s’horrifie. Ignorant l’existence des organes féminins internes, il interprète ce qu’il voit comme l’effet de la castration et imagine alors qu’un sort semblable pourrait lui échoir.
Freud niera toujours l’existence d’excitations vaginales précoces malgré la clinique et l’insistance de différents auteurs, en particulier Karl Abraham. En 1938, dans L’Abrégé de psychanalyse, Freud réitère sa conviction, que rien décidément ne saurait ébranler.

Se pose alors la question : Pourquoi cette obstination et pourquoi le succès prolongé de cette conception, qui a trouvé en France une terre d’accueil particulièrement favorable ? L’explication la plus probante à cela semble se situer du côté des affects que la relation à la femme, à la mère suscite dans les deux sexes.

La femme marquée par le manque

J’ai eu l’occasion (1976-1988) de rassembler tous les éléments qui placent, dans la théorie freudienne, la femme sous le signe du manque : manque de vagin, manque de pénis, manque de libido spécifique, manque d’objet érotique adéquat (la mère et non le père, tandis que la mère, elle, préfère son fils), nécessité de « manquer » de clitoris. À cela, comme on le sait, il convient d’ajouter un manque relatif de surmoi, de capacités de sublimation, d’où une contribution insignifiante à la culture et à la civilisation. (…)

 


CONTROVERSES © 2006 - 2009