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Face aux excès de la liberté d’expression : comment les juges communautarisent

 

Paru dans le numéro 2, juin 2006

Jacques Amar

 

Maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-Dauphine, diplômé de l’I.E.P. Paris ; membre de l’Institut Droit-Dauphine ; participe au Campus ouvert « Droit Éthique et Société » ; a publié différents travaux en droit de la consommation, droit pénal et droit fiscal.

 

Premières pages

Le principe de laïcité a pour corollaire la non-reconnaissance des communautés 1. Celles-ci sont censées agir dans le cadre de personnes morales soit pour mener leur action cultuelle, soit pour développer des actions cul¬turelles et ne pas bénéficier de traitement particulier à l’exception d’avantages fiscaux pour les associations cultuelles. Il n’existe donc ni une « communauté juive », ni une « communauté musulmane » aux yeux des juges mais seulement des instances représentatives vis-à-vis des pouvoirs publics qui exercent leur activité dans un cadre associatif.

Cette distinction est importante. Elle fonde en effet le droit à la liberté de religion de tout individu. Comme l’énonce la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté de religion « implique notamment celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer ». Autrement dit, on naît juif mais on ne le devient pas forcément et si on naît chrétien ou musulman, rien n’empêche d’envisager de devenir juif. La référence à la communauté juive, musulmane ou catholique en milieu judiciaire telle qu’elle se manifeste en jurisprudence procède donc d’un abus de langage.

Et pourtant, cette référence est omniprésente dans le contentieux en matière de diffamation, d’injure ou de provocation à la haine raciale alors même que les textes incriminent l’infraction commise à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et se gardent bien d’utiliser le terme de communauté. Il y a cependant, conformément à la rédaction des différents textes, une différence entre l’expression de personnes appartenant, par exemple, à la religion juive pouvant se sentir injuriées ou diffamées par des propos diffusés dans la presse et celle de communauté juive qui, instantanément introduit un élément de globalisation pouvant laisser à penser que tous les Juifs sont par principe concernés lorsque certains propos sont tenus. Le raisonnement vaut bien évidemment à l’identique pour les musulmans ou les catholiques.

Cette référence à la communauté est d’autant plus surprenante que l’accession des individus à la citoyenneté lors de la Révolution française renforcée en cela par le principe de laïcité a cherché précisément à les affranchir de leurs liens communautaires. Or, les propos litigieux qui sont à l’origine de poursuites cherchent à stigmatiser une catégorie de la population. Il s’établit ici une dialectique permanente entre opinion personnelle et communauté dont l’expression est révélatrice de la perception que la société se fait des religions. L’exemple des procès en diffamation intentés par des plaignants d’origine juive et de leur traitement judiciaire est très éclairant. Ces affaires se sont multipliées récemment et illustrent parfaitement la perspective que nous tentons de clarifier. Notre objectif est en effet d’évaluer si les juges sont respectueux des droits des individus et adoptent une position cohérente pour sanctionner les propos litigieux qui peuvent atteindre des personnes d’origine juive. Il tente de cerner à travers des figures types la perception que les juges ont des communautés et plus particulièrement de la communauté juive, tenue pour une sorte de laboratoire de l’ensemble de la société tant sa portée symbolique est grande dans l’imaginaire collectif.

L’enjeu est le suivant : exposer les représentations que les juges ont des juifs partant du principe qu’une fois une décision de justice rendue, l’autorité de chose jugée attachée à la décision la transforme en « interprétation officielle de la réalité 3 ». Elle bénéficie ainsi d’un satisfecit qui modifie les perceptions que l’on peut avoir d’une situation. Bref, il s’agit de voir comment sont interprétés sur le plan judiciaire les discours actuels sur les Juifs. Préalablement à cela, on présentera brièvement les principales notions qui structurent le droit de la presse. (…)

 


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