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Le
principe de laïcité a pour corollaire la non-reconnaissance
des communautés 1. Celles-ci sont censées
agir dans le cadre de personnes morales soit pour mener
leur action cultuelle, soit pour développer des
actions cul¬turelles et ne pas bénéficier
de traitement particulier à l’exception d’avantages
fiscaux pour les associations cultuelles. Il n’existe
donc ni une « communauté juive », ni
une « communauté musulmane » aux yeux
des juges mais seulement des instances représentatives
vis-à-vis des pouvoirs publics qui exercent leur
activité dans un cadre associatif.
Cette distinction est importante. Elle fonde en effet
le droit à la liberté de religion de tout
individu. Comme l’énonce la Cour européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, la liberté de religion « implique
notamment celle d’adhérer ou non à
une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la
pratiquer ». Autrement dit, on naît juif mais
on ne le devient pas forcément et si on naît
chrétien ou musulman, rien n’empêche
d’envisager de devenir juif. La référence
à la communauté juive, musulmane ou catholique
en milieu judiciaire telle qu’elle se manifeste
en jurisprudence procède donc d’un abus de
langage.
Et pourtant, cette référence
est omniprésente dans le contentieux en matière
de diffamation, d’injure ou de provocation à
la haine raciale alors même que les textes incriminent
l’infraction commise à raison de l’appartenance
ou de la non-appartenance vraie ou supposée, de
la victime à une ethnie, une nation, une race ou
une religion déterminée et se gardent bien
d’utiliser le terme de communauté. Il y a
cependant, conformément à la rédaction
des différents textes, une différence entre
l’expression de personnes appartenant, par exemple,
à la religion juive pouvant se sentir injuriées
ou diffamées par des propos diffusés dans
la presse et celle de communauté juive qui, instantanément
introduit un élément de globalisation pouvant
laisser à penser que tous les Juifs sont par principe
concernés lorsque certains propos sont tenus. Le
raisonnement vaut bien évidemment à l’identique
pour les musulmans ou les catholiques.
Cette référence
à la communauté est d’autant plus
surprenante que l’accession des individus à
la citoyenneté lors de la Révolution française
renforcée en cela par le principe de laïcité
a cherché précisément à les
affranchir de leurs liens communautaires. Or, les propos
litigieux qui sont à l’origine de poursuites
cherchent à stigmatiser une catégorie de
la population. Il s’établit ici une dialectique
permanente entre opinion personnelle et communauté
dont l’expression est révélatrice
de la perception que la société se fait
des religions. L’exemple des procès en diffamation
intentés par des plaignants d’origine juive
et de leur traitement judiciaire est très éclairant.
Ces affaires se sont multipliées récemment
et illustrent parfaitement la perspective que nous tentons
de clarifier. Notre objectif est en effet d’évaluer
si les juges sont respectueux des droits des individus
et adoptent une position cohérente pour sanctionner
les propos litigieux qui peuvent atteindre des personnes
d’origine juive. Il tente de cerner à travers
des figures types la perception que les juges ont des
communautés et plus particulièrement de
la communauté juive, tenue pour une sorte de laboratoire
de l’ensemble de la société tant sa
portée symbolique est grande dans l’imaginaire
collectif.
L’enjeu
est le suivant : exposer les représentations que
les juges ont des juifs partant du principe qu’une
fois une décision de justice rendue, l’autorité
de chose jugée attachée à la décision
la transforme en « interprétation officielle
de la réalité 3 ». Elle bénéficie
ainsi d’un satisfecit qui modifie les perceptions
que l’on peut avoir d’une situation. Bref,
il s’agit de voir comment sont interprétés
sur le plan judiciaire les discours actuels sur les Juifs.
Préalablement à cela, on présentera
brièvement les principales notions qui structurent
le droit de la presse. (…)