Premières
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Les
derniers mois de 2005 laisseront probablement dans les mémoires
le souvenir de semaines où le débat public
aura été en grande partie dominé par
la question des nouveaux contours de l’identité
française, si liée à l’histoire
contemporaine post-coloniale. La loi « Mékachera
» du 23 février 2005 « portant reconnaissance
de la nation et contribution nationale en faveur des rapatriés
» et en particulier les deux sous-amendements du député
Christian Vaneste apportés à l’article
4, auront lancé une polémique n’épargnant
personne, mobilisant historiens, groupes mémoriels,
médias et politiques de tous horizons.
Le
débat autour de l’interrogation identitaire
n’est en rien un phénomène nouveau.
Il ressurgit régulièrement dans les périodes
de crise, réelle ou non mais ressentie comme évidente
par l’opinion. La singularité de la «
crise identitaire » à laquelle nous assistons,
réside à la fois dans le contexte international
où elle s’inscrit : une mondialisation marquée
par une intensification inédite des flux économiques
et humains, l’échange planétaire en
temps réel d’informations contra¬dictoires
et pour certaines invérifiables, la confrontation
d’espaces culturels aux visions radicalement opposées.
Mais aussi dans un climat national troublé depuis
plusieurs années par l’impossibilité
de réformes politiques exigées par les mutations
identitaires résultant de l’intégration
européenne ; à cet égard le «
non » du 25 avril marque un de ces rendez-vous manqué
avec la modernité dont la France est parfois friande.
Enfin, l’inaptitude à inscrire définitivement
dans le corps national des populations originaires de l’ex-empire
colonial franais dont les politiques avaient
secrètement espéré depuis les trente
dernières années qu’elles n’étaient
que temporairement résidentes.
Ainsi
l’historien Claude Liauzu réagissant à
l’appel « Liberté pour l’his¬toire
» de 19 historiens (12 décembre 2005) écrivait
: « c’est de la société que viennent
les questions et c’est vers elle qu’elles retournent,
même si entre-temps un travail obéissant aux
règles de la méthode a été effectué.
Les fondateurs de la IIIe République l’avaient
compris, qui ont assigné au triptyque histoire-géographie-instruction
civique voué au culte de la nation, une place centrale
dans l’ensei¬gnement, ce que négligent
les 19 » 1. En effet, depuis la Révolution
française et surtout la IIIe République laïque,
l’enseignement de l’histoire a été
investi dans notre pays d’un puissant projet civique.
Formée à l’ombre du « roman national
», la conscience historique du futur citoyen est considérée
comme un des fondements du lien social. Mais s’il
existe en France entre la communauté des citoyens
et l’histoire une relation forte dont témoignent
l’intensité des débats publics suscités
par l’écriture du passé national et
la place de la discipline his¬torique dans l’enseignement
scolaire, on se doit néanmoins de corriger la vision
assez figée du professeur d’université
Claude Liauzu sur un enseignement « voué au
culte national ». Depuis une bonne vingtaine d’années,
le « roman national » a fait long feu dans l’histoire
scolaire. Les traumatismes historiques nationaux du XXe
siècle, principalement la Seconde guerre mondiale
et les guerres coloniales, ont semblé rendre impossible
la perpétuation d’une transmission d’un
« roman national » héroïque.
Si
le temps du héros – entendre vainqueur –
a vécu, est-ce à dire que celui de la victime
– le vaincu – est advenu ? Mais qui écrit
l’histoire des vaincus ? Force est de constater qu’avant
la période post-1945, l’historiographie atteste
que les vaincus étaient rarement convoqués
comme acteurs de l’histoire. Dans un mouvement de
balancier, l’entrée du récit des victimes
dans l’écriture historique s’est faite
de façon massive ; surtout elle a fait intrusion
sous l’impul¬sion de groupes mémoriels
n’appréciant pas toujours le travail de l’historien
qui « rend compte des souvenirs et des oublis pour
les transformer en objet matière pensable, pour en
faire un objet de savoir » Claude Liauzu a raison
lorsqu’il affirme que c’est la demande sociétale
qui impulse l’intérêt des professionnels
sur tel ou tel objet historique ou sociologique. Ce qui
doit nous intéresser ici est que cette impulsion
sera traduite plus rapi¬dement sur le terrain scolaire
qu’universitaire. Le long cheminement de la recherche
académique s’avère depuis de nombreuses
années supplanté par le temps court des recherches
didactiques et pédagogiques souhaitant répondre
au plus vite aux attentes supposées d’un public
scolaire massifié et considérablement divers.
Or, dans l’école démocratique post-1968,
c’est la diversité (on parlait dans les années
1980 du « droit à la différence »)
qui doit prévaloir sur une unité perçue
comme uniformité assimilatrice. L’école
ne devait plus être prioritairement un espace où
se constituait une communauté nationale autour d’une
culture et de savoirs communs mais un « lieu de vie
» où chacun était en droit d’exprimer
une part irréductible de son identité particulière.