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Le génocide du Rwanda et la guerre d’Irak
Idéologie et information

Paru dans le numéro 2, juin 2006

Léon Sann

 

Léon Sann, Docteur en médecine, pédiatre, praticien hospitalier, néonatologue, président du conseil d’éthique de l’Hopital Debrousse, auteur d’articles dans le domaine de l’éthique médicale

 

Premières pages

Informer le citoyen est une fonction démocratique que remplissent les journalistes. Ceux-ci construisent un bien public qui sert de ressource à la lucidité des citoyens afin de leur permettre un jugement éclairé mais aussi un jugement autonome, critique et responsable. Ce jugement doit faciliter la prise des décisions collectives engageant l’ensemble de la démocratie aussi bien par le poids de l’opinion publique que par le vote. Dans cette perspective, on estime notamment que le citoyen doit pouvoir débattre librement dans un forum public selon des normes de réciprocité, publicité et responsabilité. Ces débats permettent d’ajuster les connaissances et leur interprétation. Mais ils nécessitent cependant de pouvoir disposer de ressources informationnelles. On voit donc qu’à la liberté de la presse correspond, du côté du citoyen, une liberté de s’informer. Cette dernière concerne non seulement la liberté d’accès à l’information mais aussi l’obtention d’informations valables qualitativement.

Les conditions de la bonne information

L’information ne peut être considérée comme une simple description : elle comprend aussi les données adjacentes (arrière-plan, contextes, facteurs économiques, éléments historiques, enjeux idéologiques, etc…) qui participent à l’intelligibilité et à la signification de ces descriptions et qui en permettent la compréhension et l’interprétation. Le rôle du journaliste et des agences de presse ne se situe donc pas seulement au niveau de la seule énonciation d’un événement ; il comprend aussi l’explicitation de ces données adjacentes ainsi que la restitution de ces événements dans leur interaction herméneutique avec ces dernières. Par exemple, la simple description de massacres ne suffit pas pour informer : il convient de les restituer dans leur contexte et dans l’historique de leur survenue ; il convient également d’en déterminer les responsables et les buts de ceux-ci. On l’avait bien vu à propos des épisodes de Timosoara en Roumanie. Cependant la gravité de tels événements (aussi bien de la guerre comme des massacres) exige une représentation informationnelle à la mesure de l’enjeu de ces faits : il s’agit à la fois de ne pas les traiter à la légère, ni de leur accorder une emphase disproportionnée.

Cet ajustement repose sur une rhétorique de l’information qui requiert une pertinence terminologique dans la presse écrite (par exemple dans le choix de termes entre « exactions » ou génocide ») ou dans la presse photographique ou télévisuelle. Cela correspond à la justesse des énonciations, dans la mesure où on ne rapporte pas seulement les faits, mais aussi où on les ajuste à leur importance, à leur gravité ou à leur impact. Cette énonciation « juste » participe à la plausibilité de l’information : on sait bien que l’insistance, l’emphase, etc.. introduisent souvent quelque chose de douteux et de peu fiable.

À côté de l’énonciation juste, l’énonciation vraie est aussi fortement en cause bien sûr, car d’elle dépend la qualité des ressources informationnelles procurées. Toutefois les faits ou événements peuvent être rapportés de façon fausse, inexacte ou imprécise : le caractère véridique des informations est donc en jeu dans la presse. Il s’agit aussi d’éviter les manipulations qui interviennent au niveau des données adjacentes aux faits et de pallier le risque de malinformations qui éloignent la transmission des informations de la réalité. À cet égard, la presse a aussi un rôle de « watchdog » 1 de la démocratie, en alertant le citoyen sur les motifs et les responsabilités des représentants politiques. Mais la transmission des informations est aussi influencée par les attentes des jour¬nalistes comme du lecteur : la véridicalité 2 des informations est donc également en jeu au niveau de la presse. C’est ainsi que les journalistes peuvent forger des informations selon leurs opinions ou préjugés, voir même dans un esprit partisan. La véridicalité met donc en œuvre l’objectivité (qui tient à la fois à la validité et à la légitimité des informations apportées). Elle se situera au-delà du scepticisme, mais en deça du dogmatisme. Mais par delà la malinformation, la désinformation dresse un écran ou un leurre qui va obscurcir toute saisie même d’information. Cette désinformation prive d’une donnée sur la réalité et risque de tromper le public et de l’orienter vers un jugement biaisé ou même erroné : elle attente donc à la véracité de l’information. Enfin, l’effet de l’information transmise intervient aussi : informer est un acte de communication par lequel on peut chercher à influencer le lecteur ou l’auditeur, à lui faire la leçon ou la morale. Cet effet relève de ce que, à la suite de Jankelevitch, on peut appeler la vérimentalité 3 de l’information. Car les énoncés de ces informations constituent aussi des actes ; ils ont donc aussi, comme tous les actes humains, leurs motifs et leur finalité. Or, ceux-ci peuvent également perturber la consti¬tution de ce bien commun que la liberté de la presse doit permettre autant que la qualité de ces ressources informationnelles nécessaires à la liberté du citoyen dans sa lucidité personnelle et sa fonction démocratique. (...)

 


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