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Informer
le citoyen est une fonction démocratique que remplissent
les journalistes. Ceux-ci construisent un bien public
qui sert de ressource à la lucidité des
citoyens afin de leur permettre un jugement éclairé
mais aussi un jugement autonome, critique et responsable.
Ce jugement doit faciliter la prise des décisions
collectives engageant l’ensemble de la démocratie
aussi bien par le poids de l’opinion publique que
par le vote. Dans cette perspective, on estime notamment
que le citoyen doit pouvoir débattre librement
dans un forum public selon des normes de réciprocité,
publicité et responsabilité. Ces débats
permettent d’ajuster les connaissances et leur interprétation.
Mais ils nécessitent cependant de pouvoir disposer
de ressources informationnelles. On voit donc qu’à
la liberté de la presse correspond, du côté
du citoyen, une liberté de s’informer. Cette
dernière concerne non seulement la liberté
d’accès à l’information mais
aussi l’obtention d’informations valables
qualitativement.
Les conditions de la bonne
information
L’information ne
peut être considérée comme une simple
description : elle comprend aussi les données adjacentes
(arrière-plan, contextes, facteurs économiques,
éléments historiques, enjeux idéologiques,
etc…) qui participent à l’intelligibilité
et à la signification de ces descriptions et qui
en permettent la compréhension et l’interprétation.
Le rôle du journaliste et des agences de presse
ne se situe donc pas seulement au niveau de la seule énonciation
d’un événement ; il comprend aussi
l’explicitation de ces données adjacentes
ainsi que la restitution de ces événements
dans leur interaction herméneutique avec ces dernières.
Par exemple, la simple description de massacres ne suffit
pas pour informer : il convient de les restituer dans
leur contexte et dans l’historique de leur survenue
; il convient également d’en déterminer
les responsables et les buts de ceux-ci. On l’avait
bien vu à propos des épisodes de Timosoara
en Roumanie. Cependant la gravité de tels événements
(aussi bien de la guerre comme des massacres) exige une
représentation informationnelle à la mesure
de l’enjeu de ces faits : il s’agit à
la fois de ne pas les traiter à la légère,
ni de leur accorder une emphase disproportionnée.
Cet ajustement repose
sur une rhétorique de l’information qui requiert
une pertinence terminologique dans la presse écrite
(par exemple dans le choix de termes entre « exactions
» ou génocide ») ou dans la presse
photographique ou télévisuelle. Cela correspond
à la justesse des énonciations, dans la
mesure où on ne rapporte pas seulement les faits,
mais aussi où on les ajuste à leur importance,
à leur gravité ou à leur impact.
Cette énonciation « juste » participe
à la plausibilité de l’information
: on sait bien que l’insistance, l’emphase,
etc.. introduisent souvent quelque chose de douteux et
de peu fiable.
À côté
de l’énonciation juste, l’énonciation
vraie est aussi fortement en cause bien sûr, car
d’elle dépend la qualité des ressources
informationnelles procurées. Toutefois les faits
ou événements peuvent être rapportés
de façon fausse, inexacte ou imprécise :
le caractère véridique des informations
est donc en jeu dans la presse. Il s’agit aussi
d’éviter les manipulations qui interviennent
au niveau des données adjacentes aux faits et de
pallier le risque de malinformations qui éloignent
la transmission des informations de la réalité.
À cet égard, la presse a aussi un rôle
de « watchdog » 1 de la démocratie,
en alertant le citoyen sur les motifs et les responsabilités
des représentants politiques. Mais la transmission
des informations est aussi influencée par les attentes
des jour¬nalistes comme du lecteur : la véridicalité
2 des informations est donc également en jeu au
niveau de la presse. C’est ainsi que les journalistes
peuvent forger des informations selon leurs opinions ou
préjugés, voir même dans un esprit
partisan. La véridicalité met donc en œuvre
l’objectivité (qui tient à la fois
à la validité et à la légitimité
des informations apportées). Elle se situera au-delà
du scepticisme, mais en deça du dogmatisme. Mais
par delà la malinformation, la désinformation
dresse un écran ou un leurre qui va obscurcir toute
saisie même d’information. Cette désinformation
prive d’une donnée sur la réalité
et risque de tromper le public et de l’orienter
vers un jugement biaisé ou même erroné
: elle attente donc à la véracité
de l’information. Enfin, l’effet de l’information
transmise intervient aussi : informer est un acte de communication
par lequel on peut chercher à influencer le lecteur
ou l’auditeur, à lui faire la leçon
ou la morale. Cet effet relève de ce que, à
la suite de Jankelevitch, on peut appeler la vérimentalité
3 de l’information. Car les énoncés
de ces informations constituent aussi des actes ; ils
ont donc aussi, comme tous les actes humains, leurs motifs
et leur finalité. Or, ceux-ci peuvent également
perturber la consti¬tution de ce bien commun que la
liberté de la presse doit permettre autant que
la qualité de ces ressources informationnelles
nécessaires à la liberté du citoyen
dans sa lucidité personnelle et sa fonction démocratique.
(...)