Le
déni de la réalité et ses origines
par
Shmuel Trigano
Éditorial sur Radio J, le 30 octobre 2009
Le
réseau Internet a beaucoup glosé sur les déclarations
de Jacques Attali au journal israélien Haaretz (16/10/09) :
« Il n’y a aucun antisémitisme en France. C’est
un mensonge. C’est un pur mensonge... Je pense que c’est
de la propagande, de la propagande israélienne ».
L’observateur
avait noté dans ses carnets d’autres déclarations
à l’emporte-pièces qui ne cadrent pas avec le
personnage célébré par les institutions et médias
communautaires. Dans le journal suisse Le Matin (10 mars 2009) : «
le peuple juif a une histoire planétaire et millénaire
qui n’a rien à voir avec l’Etat d’Israël
». Dans son Dictionnaire Amoureux du judaïsme
où il y a une entrée sur « Palestine » mais
pas « Israël », Attali propose comme solution au
conflit israélo palestinien que les réfugiés
palestiniens se réinstallent en Israël tandis que les
Juifs chassés des pays arabes retourneraient dans leurs pays
d’origine.
Chacun
a pu apprécier ces propos désinvoltes, d’une violence
symbolique inouïe. Je remarque néanmoins qu’ils
ont pour conséquence de stigmatiser implicitement ceux qui,
de 2001 à 2004, ont alerté l’opinion publique
nationale de la réalité gravissime du nouvel antisémitisme
et de l’avertissement qu’il lançait à la
société française dans sa globalité. Quand,
en 2001, j’ai créé l’Observatoire du Monde
Juif pour rendre publiques les preuves d’environs 500 actes
antisémites, nous avons été confrontés
à une étrange réaction publique et médiatique
–digne de la psychanalyse–, nous accusant de communautarisme
et de racisme.
Une
part non négligeable de l’intelligentsia et des élites
(y compris communautaires) firent chorus à ce jugement accentuant
le discrédit et la condamnation de la communauté juive
devenue soudain agressive alors qu’elle était sous le
coup de multiples agressions.
Il
fallut attendre l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère
de l’intérieur, une succession de rapports ministériels,
Ruffin (2004), Obin (2004), de rapports de la Commission européenne
pour que le fait antisémite soit reconnu.
Mais
entre temps, le mal avait été fait et on avait désarmé
la société face à l’insécurité
générale qui n’a pu qu’empirer, par la suite,
avec les émeutes des banlieues.
Mais
la cause de cette attitude est plus profonde et la suite de l’interview
d’Attali, en général négligée par
les commentateurs, nous en donne un indice. « La France
a la plus importante communauté juive moderne et la plus importante
communauté arabo-musulmane moderne. Il est absolument crucial
pour Israël et le monde entier que les deux communautés
s’entendent. Ces relations sont d’une importance stratégique
: s’ils ne peuvent vivre en harmonie ici, ils ne peuvent vivre
en harmonie nulle part ».
Il
y a là une formulation lapidaire des bases idéologique
du déni de la réalité de l’antisémitisme.
Et Jacques Attali, qui déclare avoir été très
proche de François Mitterrand durant 10 ans, devrait en savoir
quelque chose. C’est en effet Mitterrand qui, dans sa deuxième
législature, a tenté de rééditer la stratégie
du Front antifasciste des années 1930, pour pulvériser
la droite –puis le PS dans un deuxième temps (pouvoir
personnel oblige !)– en rameutant les Républicains autour
de lui contre un « danger Le Pen », alors inventé
de toutes pièces.
C’était
l’époque où Julien Dray de SOS Racisme consacrait
le slogan « Juifs = immigrés », appelant à
lutter contre le racisme anti-arabe au nom de la lutte contre l’antisémitisme
et le néo-nazisme. L’antisémitisme fut identifié
à la seule extrême droite et l’innocence de la
communauté de l’immigration établie pour l’éternité.
La communauté juive fut lourdement sollicitée à
l’appui de cette opération de politique politicienne.
Quand
les actes antisémites surgirent de certains de ces milieux,
cette idéologie s’effondra totalement dans les faits,
mais elle fut maintenue dans les discours et les consciences. C’est
ce qui donna naissance à ce décalage pathétique
entre le discours et le réel qui caractérise la France
d’aujourd’hui. Il fallut donc, pour les nécessités
de cette idéologie et de ceux qui y ont intérêt,
que les Juifs correspondent impeccablement au rôle qu’elle
leur assigne, pour sauvegarder les apparences, sous la menace de se
voir diabolisés et accusés des maux dont ils souffraient.
A
l’opposé de cette thèse, il faut rétablir
la vérité. Le salut de la France ne dépend pas
de l’entente des « deux communautés », selon
l’expression de Mitterrand lors de la première guerre
du Golfe. Elle est souhaitable, certes, et digne d’être
recherchée mais les Juifs sont des citoyens sans problème
d’identité vis-à-vis du cadre national qui, seul,
doit prévaloir. S’il y a un problème de sécurité
et de paix publique, c’est l’Etat seul qui est concerné
et responsable. De même, le problème israélo-palestinien
n’est pas un problème planétaire : il oppose deux
fois 5 à 6 millions de personnes sur un très petit territoire.
L’Europe ne trouvera pas de solution à ses problèmes
d’immigration par Israël interposé. C’est
un bon bouc émissaire de sa démission générale.
Il
faut en finir avec la mythologie et l’affabulation qui ont parasité
les 20 dernières années.
*Éditorial
sur Radio J, le 30 octobre 2009.
Les
grands moralistes
par
Shmuel Trigano Commentaire sur Radio J, le
18 octobre 2009
Nous
vivons dans une société dont le discours public est
profondément corrompu. Tout y est faux et déplacé.
C’est la morale elle-même qui est devenue une idéologie.
Dans le crépuscule des utopies politiques du XXème siècle
qui voulurent créer un Homme nouveau, les idéologues
se sont rabattus sur la morale. Ils l’ont instrumentalisée
pour promouvoir leurs intérêts partisans ou, tout simplement,
carriéristes. Sont ainsi apparus sur la scène toute
une gamme de figures vertueuses, très vertueuses.
Cela
a commencé dans les années 1980 avec le déclin
du socialo-communisme –déclin irrémédiable
comme nous le montre le tableau tragi-comique du P.S. aujourd’hui–,
quand les droits de l’homme ont cessé d’être
une catégorie morale et juridique pour devenir un créneau
idéologique. C’est ce qu’il est justifié
de définir comme le droits-de-l’hommisme. Ce terme ne
vise pas à dénigrer l’idée des droits de
l’homme mais l’usage partisan qui en est fait. Ce fut
là l’origine de la déliquescence du discours public,
au point que la conscience morale se vit réduite au silence,
à un exil intérieur qui étouffait son cri.
Nous avons ainsi vu se multiplier sur la scène médiatique
de nouveaux types de discours public : le prêche, l’imprécation,
l’accusation, la dénonciation, la remontrance.
De
nouveaux acteurs politiques sont apparus avec les ONG. Voilà
des gens qui s’instituent contrôleurs de la morale internationale
mais qui ont un agenda politique engagé et surtout n’existent
que par les fonds qu’ils obtiennent des Etats et des organisations
internationales, avec tout ce que cela comporte de dépendance
et de carriérisme pour leurs membres.
Cette
rhétorique a envahi les médias dont une grande partie
des acteurs se comporte à la façon d’un clergé
qui contrôle tout mais que personne ne contrôle. Certains
intellectuels ont cédé à la facilité de
se prendre pour de grands esprits sur la montagne. Et les bureaucrates
des partis sont devenus de vertueux personnages, faisant sans répit
la morale tout azimuts, sauf à eux-mêmes. Cet étrange
ministère de la parole publique nous rappelle la notion de
« faux prophète ». Qui est le faux prophète
? C’est celui qui utilise la vision du réel dans un sens
utilitaire. C’est celui qui fait de la parole/davar une lèpre/dever,
c’est celui qui détourne la puissance de vérité
qu’il y a dans le langage pour en faire une rhétorique
creuse. Quand cela touche à la morale, c’est que la société
est en danger.
Plus
que d’une critique prophétique de ce dévoiement,
nous avons besoin d’un Molière pour portraiturer les
précieuses et les ridicules de notre temps.
La
cause d’Israël est un test pour prendre la mesure de ce
travers. Quelques cas récents nous le montrent, et notamment
le phénomène d’opinion qui s’est produit
autour de l’opération « Plomb durci » à
Gaza. Révélation a été faite du fait que
toutes les ONG israéliennes et une kyrielle d’associations
qui font le procès permanent d’Israël et du sionisme,
étaient en vérité le bras caché de l’Union
Européenne et de ses gouvernements, cherchant à influencer
du dedans la vie politique israélienne et à mettre en
œuvre une réprobation morale de ses actes. Des instituts
comme NGO Monitor ou des chercheurs comme Malka Markovitch ont clairement
démontré la fausseté des allégations de
ces pseudo-moralistes.
Récemment,
le Secrétaire Général de l’ONU a accusé
Israël de violer le droit international, mais quelle valeur cette
condamnation a-t-elle pour quelqu’un qui a sciemment occulté
l’extermination par le gouvernement du Sri Lanka de plusieurs
millions de personnes ? Et le moraliste Obama, cinglant envers Israël,
qu’a-t-il dit pour les bavures au Pakistan, en Afghanistan ?
On n’a jamais entendu les grands moralistes à ce propos,
pas de manifestation ni de boycott. A peine une mention dans les médias.
Et la France qui emboîte le pas à Obama, qui condamne
vertement, alors que sous Mitterrand elle a une part de responsabilité
accablante dans le génocide du Rwanda ?
Non, la morale ne peut pas être à sens unique. Et nous
aussi nous pouvons faire le procès de ces turpitudes. Mais
nous ne l’avons pas fait.
*Commentaire
sur Radio J, le 18 octobre 2009.
Un
prix Nobel significatif
par
Shmuel Trigano Commentaire sur Radio J le
2 octobre 2009
L’attribution
du Prix Nobel de la Paix à Barack Obama tient de ce que les
psychanalystes appellent un lapsus, c’est-à-dire un acte
incontrôlé et aberrant qui révèle un syndrome
psychique dans sa profondeur insoupçonnée et inconsciente.
Il
y a de quoi en effet. Attribuer ce prix à un personnage qui
n’a fait jusqu’à ce jour qu’exercer le ministère
de la parole et prendre des postures, pour l’instant sans lendemain,
et qui, par son credo en politique internationale, pourrait avoir
sapé durablement les positions de son pays et de l’Occident,
a quelque chose d’erratique.
Les
commentateurs évoquent parmi les principales raisons de cette
nomination le pathétique discours du Caire, le choix de la
temporisation face à l’Iran et, bien sûr, la dureté
envers Israël : à leurs yeux, autant d’indices d’une
politique de paix. Ceux-ci nous mettent sur la voie.
Ce
que les jurés d’Oslo ont voulu mettre en avant, pour
la conforter et la célébrer, c’est bien sûr
la nouvelle donne de la politique américaine envers Israël.
Le caricaturiste du journal Le Monde, Plantu, ne s’y est pas
trompé avec un dessin très choquant dans lequel on voit
Obama descendre du ciel, porté par les colombes de la paix,
et se poser devant un Netanyahou renfrogné, debout dans un
tank, portant bien en évidence l’étoile de David,
un tank qui bien sûr écrase un enfant au keffieh qui
sourit, lui, à Obama, en brandissant un drapeau palestinien.
Plantu a très bien saisi l’intention de l’attribution
du Prix Nobel dans un pays qui s’est illustré par l’affaire
récente accusant l’armée israélienne de
voler les organes des Palestiniens qu’elle aurait tués,
dans un pays qui a conçu le processus d’Oslo, ce processus
de guerre déguisé en processus de paix. Un pays au sein
d’une région, les pays scandinaves, qui s’est faite
remarquer par un antisémitisme virulent depuis 10 ans, des
pays qui sont les apôtres du renoncement national sous le masque
de l’humanitarisme et qui ont l’ambition de faire la morale
à l’univers.
Tout
un paysage psychologique de l’Europe contemporaine se cache
derrière ce Prix Nobel. Son obsession d’Israël est
centrale, je dirais même fondatrice : elle est mue par deux
traumatismes qui la tourmentent, la mémoire de la Shoa et le
choc démographique de l’immigration qui ébranle
son identité. L’Europe croit qu’en faisant la paix
entre Israël et le monde arabe, elle assurera la paix civile
dans ses frontières. Mais cette paix implique, à ce
que nous constatons, la transformation de l’Etat d’Israël
en cause humanitaire, dans le recul de sa souveraineté nationale
devant la Palestine (qui elle est bien sûr légitimement
arabe et islamique).
Le
souhait profond de l’Europe, enchâssé dans la mémoire
de la Shoa officielle, c’est qu’Israël ne soit pas
plus qu’une victime, tolérée d’exister pour
des raisons humanitaires. C’est ce qui explique pourquoi l’Union
Européenne et de nombreux Etats européens financent
à bout de bras de pseudo organisations non gouvernementales
israéliennes et palestiniennes –et jusqu’au mouvement
Shalom Akhchav semble-t-il, au mouvement des Accords de Genève–
des organismes dont l’unique rôle est de fustiger Israël
dans ses fonctions étatiques pour son amoralité et sa
barbarie.
La
critique semble ainsi venir du dedans de la démocratie israélienne
–qui a bon dos d’être célébrée
dans ces cas-là– mais elle est entièrement téléguidée.
On pourrait dire la même chose d’une part importante du
nouveau cinéma israélien qui forge une image trouble
d’Israël. Sait-on que la France a financé 18 films
israéliens ? Quelle image d’Israël guide donc les
organismes de subvention ? Que cherchent-ils à démontrer
? Et les créateurs israéliens ont compris ce qu’il
fallait proposer pour rencontrer le succès. On pourrait dire
la même chose des médias et de l’édition
qui favorisent une flopée de livres de dénigrement et
d’accusation et entretiennent une situation de crise permanente.
Ainsi,
le débat intérieur à Israël, débat
légitime, se voit-il externalisé et devenir l’écran
de projection des problèmes propres à l’Europe
et à ses ambitions de pouvoir sans limite. N’oublions
pas que si la Turquie entre dans l’Europe, les frontières
de celle-ci seront la Syrie et l’Irak : tout est dit. Entre
temps, ce syndrome européen est une machine à produire
et banaliser l’antisémitisme, évidemment de façon
très morale.
*Commentaire
sur Radio J, le 2 octobre 2009.
Une
guerre des Juifs ?
par
Shmuel Trigano
(Pour une part, le commentaire présenté sur Radio J,
le vendredi 2 octobre 2009)
On
n’a pas assez réfléchi aux conséquences
possibles du rapport Goldstone sur l’opération «
Plomb durci » à Gaza. Profondément défaillant
sur sa méthode d’investigation, il compare l’État
d’Israël à l’organisation terroriste du Hamas
et l’accuse de crimes de guerres et de crimes contre l’humanité.
L’accusation
n’est pas nouvelle parmi les ennemis d’Israël. La
seule différence, c’est qu’elle est endossée
en bonne et due forme (1) par une institution internationale qui leur
fournit ainsi un acte d’accusation juridique pour fonder leur
entreprise mondiale de délégitimation.
Il
est possible que ce rapport reste sans lendemain, ce que je ne crois
pas, mais il nous rappelle qu’il ne faut nullement négliger
la guerre symbolique qui se livre aujourd’hui contre Israël
et, plus largement, le peuple juif. N’oublions pas qu’on
avilit moralement un ennemi avant de le supprimer. On le déshumanise
pour mieux l’abattre moralement (2). Il faut regretter que le
leadership juif dans tous les pays n’ait pas encore compris
que là était pour l’instant la clef de la bataille
qui se livre depuis 10 ans, lorsque nous sommes entrés dans
sa phase la plus accélérée, car le projet de
l’extermination du peuple juif n’est pas nouveau.
Sur
le plan des symboles, dans ce rapport Goldstone, c’est le Juge
Goldstone lui-même qui est significatif. Il est effectivement
juif, pratiquant et sioniste même, ajoute la rumeur, avec des
antécédents de lutte contre l’Apartheid en Afrique
du Sud.
Il
n’est pas dénué de sens que l’ONU ait choisi
un tel profil pour exécuter ses basses œuvres contre Israël.
Il lui assurait l’impunité morale et la garantie de l’impartialité.
Pensez donc, si un Juif le dit ! Alors c’est vrai.
C’est là un cas de figure que nous rencontrons régulièrement
depuis 10 ans. Il y a le Juge Goldstone, il y a aussi l’entourage
juif d’Obama, leviers de sa politique moyen orientale, et combien
d’autres cas… On a vu surgir dans tous les pays occidentaux
toute une galerie de personnages juifs prenant des poses de pères-la
vertu et de sages au-dessus de la mêlée pour jeter l’opprobre
sans fondements sur d’autres Juifs et notamment Israël.
C’est
un phénomène unique que l’on ne rencontre que
dans le monde juif et qui soulève de sérieuses questions
sur la puissance de l’instinct de mort en lui. On a parlé
de haine de soi, on a parlé d’alterjuifs (3) pour définir
ce type d’identité, mais le problème est plus
profond, plus vaste. Il n’est pas récent mais consubstantiel
à la condition juive.
Les
accusateurs publics auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui
sont dans la plupart des cas d’origine juive,
beaucoup sont israéliens. C’est un fait massif qui n’a
pas été assez souligné. Or, nous avons constaté,
durant ces années, que le fait d’être juif ne prémunit
nullement contre l’antisémitisme. En l’occurrence,
le rapport Goldstone s’apparente à une accusation de
crime rituel quand on y lit qu’Israël a « délibérément
terrorisé une population civile » et que « la violence
israélienne contre les civils relève d’une politique
délibérée ». Je ne peux me livrer dans
ce cadre à une étude détaillée des malversations
et des manipulations qui caractérisent ce rapport (4). Est-ce
étonnant quand on sait que l’ONU et le Conseil des Droits
de l’Homme sont sous l’influence des 60 États membres,
très démocratiques comme on le sait, de l’Organisation
de la Conférence Islamique ?
Il
est temps d’entamer une sérieuse réflexion sur
ce phénomène. Que recherche cette mouvance ? Sauver
sa peau parce qu’elle pressent une impasse prochaine ? C’est
effectivement un mauvais indice psychosociologique d’une tragédie
qui est peut-être en train de se préparer sous nos yeux
de spectateurs impuissants (5). Jouer sans danger aux grands moralistes
sur la montagne ? C’est comme la fameuse boutade sur la morale
kantienne : « Kant a les mains pures, mais ils n’a pas
de mains ». Régler son compte à une judéité
mal assumée ? Leur malaise élevé à une
doctrine empoisonnerait le monde, en tel cas. Servir, plus prosaïquement,
un carriérisme ? Il est en effet prouvé que la position
qu’ils défendent est le « sésame ouvre-toi
» des médias, des prébendes et des honneurs. C’est
ce qui fonde justement la prépondérance de facto de
leur discours et la censure qui pèse sur nombre d’intellectuels
juifs dans la presse, les arènes publiques et les plateaux
de télévision où ils ne sont invités que
pour être « exécutés » publiquement
sur le pan de leur respectabilité intellectuelle et morale.
Leur
posture est doublement amorale, parce que leur jugement est infondé
(on peut reprendre une à une toutes les pièces du dossier
pour les contester) et parce qu’il est lancé à
la cantonade au moment où les Juifs sont en butte à
l’hostilité, comme pour hurler avec les loups. Elle témoigne
surtout d’un terrible manque de sens politique parce que le
discrédit rejaillira toujours sur eux et les emportera, en
premier, dans la tourmente qu’ils auront attisée. C’est
justement parce qu’ils sont juifs qu’ils jouent le rôle
qui leur est assigné par l’idéologie dominante.
Et c’est ce qui les exclura ipso facto de ses rangs.
Qu’on
ne me dise pas qu’il y va de la liberté d’opinion
et de critique (6). Il suffit de se livrer à une comparaison
pour constater que le discours des détracteurs et des dénonciateurs
est abusif et excessif dans la mesure où aucun autre État
dans le monde, et parmi les pires cas, n’est sujet à
une telle attaque symbolique. Non, c’est de bien autre chose
qu’il s’agit, d’un phénomène pathologique,
d’une corruption du débat démocratique qui caractérise
le monde juif, comme nulle part ailleurs.
La
question n’est pas uniquement morale et spirituelle. Elle est
politique et stratégique : une guerre des Juifs est-elle en
train de se dérouler aujourd’hui ? Répondre à
cette question déchirante décidera de la capacité
des Juifs de faire face à cette situation.
J’ai
en tête une mémoire historique très précise.
Quand j’entends (7) Élie Barnavi, qui fut ambassadeur
d’Israël, déclarer souhaiter que « la paix
» soit imposée à Israël par les États-Unis
et tout spécialement Barak Obama, sans autre forme de procès
et au mépris du choix démocratique des Israéliens
qu’il invoque pourtant sans cesse, quand je lis que toutes les
pseudo Organisations « Non gouvernementales » (O.N.G.)
des droits de l’homme en Israël et parmi les Palestiniens
sont financées par l’Union Européenne et ses États
pour mener leur politique d’accablement humanitaire d’Israël
au service de leur politique pro-arabe, cela me rappelle irrésistiblement
le début de l’époque finale du deuxième
État juif (détruit en l’an 70) quand une faction
d’une société alors en proie à une guerre
civile en appela (en - 63) à l’empire romain, au consul
et général Pompée, pour triompher de ses adversaires.
Pour la suite que l’on sait.
La
question à laquelle nous devons nous confronter soir et matin
- et c’est déjà le cas depuis 10 ans pour les
plus clairvoyants - est de savoir si nous sommes en train d’assister
au processus qui conduira à la destruction de l’État
d’Israël. Il faut le dire clairement et que chacun prenne
ses responsabilités devant l’histoire et la conscience.
Notes
1
- Cette caractéristique n’est vraie que parce que le
Rapport est certifié par une institution. Selon le rapporteur
lui même : « Ce n’était pas une enquête
[criminelle], mais une mission d’établissement des faits
[fact-finding] […] Nous devions faire de notre mieux avec le
matériau à notre disposition. S’il s’était
agi d’un tribunal, rien n’aurait pu être prouvé.
» (Goldstone, interviewé par "Forward",
le 2 octobre, Forward.com, October 07, 2009, issue of October 16,
2009) , cf. pour l’article de Forward :
http://www.upjf.org/actualitees-upjf/article-17255-145-7-goldstone-court-lac-would-have-been-nothing-proven-gal-beckerman.html#).
Le problème est que ces faits sont établis uniquement
sur la foi des « témoignages » des gens de Gaza
(sur l’affaire de la mort de la Samouni, voir l’étude
de Anna Lifschitz Krams, « La presse et Gaza, histoire du massacre
de Zeitoun ») (Controverses, 11, mai 2009). Le Rapport est une
pure accusation laissant à Israël le soin de se disculper
: « ce ne sera pas un problème embarrassant pour
moi si l’investigation israélienne prouve que nombre
des faits avancés dans ce rapport sont infondés
».L’accusation sans fondement aura été entre
–temps lancée. Personne ne prêtera plus attention
à la démonstration du contraire. « Mentez, il
en restera toujours quelque chose... »
2 - Le fait que c’est le seul État du monde à
être l’objet d’une condamnation « morale »,
alors que ceux-là même qui le condamnent sont les dictatures
les plus obscurantistes de la planète et que les États
sont tous des monstres de la « Raison d’État »,
est un indice très significatif de l’identité
d’Israël, même chez ses pires détracteurs.
3
- Cf. «
Les Alterjuifs », Controverses n° 7,
4 - La démonstration, point par point, a été
faite en anglais par NGO Monitor : « Goldstone
Report: 575 pages of NGO "cut and paste" » , «
Two NGO Monitor reports on Goldstone :1) House
of Cards: NGOs and the Goldstone Report ; 2) Made
in Europe: How government funded NGOs shaped the Goldstone report
5
- Exactement le même phénomène s’est produit
avant la deuxième guerre mondiale. A l’époque
de la guerre froide, ce fut au tour des Juifs communistes à
monter sur la scène de l’autodestruction. Dans toutes
les occurrences de ce travers, il y avait un indice sociologique de
la pression ambiante exercée sur les Juifs, annonçant
un assaut à leur encontre.
6 - Sur ce plan-là, personne n’a à me faire de
leçons. Un travail de 40 ans, durant lesquels je n’ai
pas fait l’économie d’une critique du monde juif,
le démontre.
7 - Les Matins de France Culture, 1/10/2009. Entre autres déclarations:
”James Baker ... a dit, on l’a enregistré…
« we will screw the Jews » on va baiser les Juifs.
C’était de la musique à mes oreilles”.
L’ultra-orthodoxie
face à l’histoire
Par
Shmuel Trigano Chronique prononcée sur Radio
J, le vendredi 31 juillet 2009.
Nous
sortons de la période de deuil du mois d’Av. Entre le
17 Tamouz et le 9 Av, tout au long de l’histoire, se sont produites
de nombreuses catastrophes. Je voudrais commenter une déclaration
du leader spirituel du parti Shas, qui est en même temps une
autorité en matière de droit halakhique, le Rabbin Ovadia
Yossef.
Il
déclare dans le journal Maariv que les victimes de la Shoa
ont été “les réincarnations des âmes
pécheresses issues des précédentes générations”
et que la Shoah “comme toutes les calamités
qui ont frappé le peuple d’Israël est rattachée
au crime du Veau d’or. Les tragédies endurées
à travers les générations, la Shoah, l’Inquisition,
en font partie”. Il reconnaît que parmi les victimes
de la Shoah, il y avait “des hommes bien. Mais ils ont été
punis pour les fautes des générations précédentes.
Tout le monde veut trouver une explication à la Shoah: malheur
à nous qui avons péché. Il va sans dire que nous
croyons à la réincarnation. La Shoah est la réincarnation
de nos âmes. Notre maître, le Ari (Itzhak Louria) a dit
qu’il n’y a aucune nouvelle âme dans notre génération.
Toutes ont déjà existé avant de revenir dans
ce monde”.
Outre
leur caractère cinglant et attentatoire à la dignité
des gens, ces propos laissent entendre une erreur doctrinale importante
quant au judaïsme, dont les conséquences existentielles
et politiques sont lourdes, notamment quand ils inspirent les milieux
religieux. Plus grave: ils ont des effets directs, par le biais du
parti Shas, sur la politique israélienne.
Trois
erreurs doctrinales
Qu’est
ce qui se dégage immédiatement de cette théorie?
Trois idées étrangères au judaïsme qui,
du point de vue de la pensée, n’est pas une auberge espagnole
où chacun trouverait ce qu’il y apporte.
La
plus puissante est l’idée chrétienne de “péché
originel”, en l’occurrence, la faute du Veau d’or,
dont les Juifs ne cesseraient de subir les conséquences, quoi
qu’ils fassent et quelle que soit leur moralité et leur
responsabilité. Ils ne pourraient rien faire par leurs propres
actes pour s’en libérer (si ce n’est adhérer
au Shas?).
La
deuxième idée, qui en découle, et qui est le
propre de l’islam, est celle de la fatalité, du “mektoub”.
C’était écrit depuis le Veau d’or que l’Inquisition,
puis la Shoa (et demain quoi?) devaient se produire. La condition
juive est ainsi vouée à la passivité, à
la souffrance et au martyre.
Enfin,
la troisième idée est hautement problématique.
Elle vient de la kabbale d’Itzhak Louria, par ailleurs un immense
mystique: la thèse de la réincarnation des âmes.
Or, cette thèse n’a aucune base, ni aucune source dans
les textes du judaïsme ni aucune possibilité de se développer
dans la cohérence intellectuelle de son système. Elle
est par contre typique du bouddhisme et de sa philosophie du Karma,
une doctrine qui ne peut admettre, ni concevoir, l’idée
de création et qui est donc à l’opposé
du monothéisme et de sa conception du temps. Le salut des âmes
est trouvé dans l’immanence pour la philosophie du karma,
au terme d’une très longue séquence temporelle
(de réincarnations successives) alors qu’il est trouvé
dans la transcendance et dans ce monde-ci dans le monothéisme,
car contrairement au bouddhisme, la loi divine offre un moyen aux
hommes de se refaire une âme. Il y a ici un paradoxe...
Si
le rabbin Ovadia Yossef est un grand décisionnaire juridique,
il est un penseur juif problématique. Or, la cohérence
intellectuelle du judaïsme n’est pas moins importante que
sa rationalité juridique. Contrairement aux idées reçues,
le judaïsme n’est pas une orthopraxie aveugle et matérialiste.
C’est aussi une pensée, sans être, en principe,
une “orthodoxie”. Indépendamment de cette question,
ses idées forment un système rationnellement cohérent
sur le plan global du modèle de civilisation.
Les
présupposés intellectuels du Rabbin Ovadia Yossef retentissent
nécessairement sur l’esprit et la psychologie qui inspirent
ses décisions en matière de halakha.
Responsabilité
versus passivité
Il
y a, à la base de cette perspective, une méprise patente
sur le sens de la pensée prophétique, dont elle recommande
implicitement: une confusion entre la responsabilité et la
fatalité. Il est vrai que, face aux drames de l’histoire,
les prophètes bibliques appellent Israël à examiner
les fautes morales qui ont pu les provoquer. A leurs yeux, l’histoire
du monde n’est pas sous l’empire de l’absurde et
du hasard mais elle se déroule dans l’horizon de l’ordre
de la création et de l’alliance sinaïtique. Tout
désordre de l’histoire reflète un désordre
de l’humain. L’ordre, cependant, n’est pas une assignation
à un destin clos mais un horizon promis à travers la
fidélité à l’alliance et à ses lois.
L’homme est donc, en définitive (car il est néanmoins
un être créé) le maître de son histoire:
il peut y réparer ses erreurs, en s’efforçant
d’ajuster sa vie aux normes de l’alliance. Le jugement
des âmes est ainsi en suspens, c’est pourquoi le repentir
et le pardon sont possibles.
Si
l’on couple cette théorie avec celle de la réincarnation,
l’appel à la responsabilité devient la soumission
à la fatalité. C’est une idée fondamentalement
étrangère à la pensée juive, j’entends
à sa cohérence interne même si des Juifs ont pu
la forger. En d’autres lieux, on parlerait d’hérésie
théologique. Et l’on constate à ce propos combien
le dédain des milieux ultra-orthodoxes pour la pensée
juive peut avoir d’influences négatives sur la qualité
de leur étude exclusivement talmudique.
Mais
cette conception provoque des dégâts existentiels car
elle encourage, sur le plan de l’individu et de la collectivité,
une démission devant les défis de l’existence
et une soumission au destin. Elle a des effets politiques car elle
ne peut qu’être hostile à l’assomption de
la souveraineté qui implique une attitude assumant la condition
de sujet collectif et de volonté, et cette démission
devant l’histoire, engendrant des catastrophes sans fin, définit
bien la doctrine politique défaillante de l’ultra-orthodoxie
et donc du Shas qui ambitionne d’être un parti de gouvernement.
Décidemment,
la révolution mentale que fut le sionisme politique est encore
à venir. Elle est commandée par le refus du destin et
de la condition victimaire, couplé au projet volontariste et
actif de rédimer le sort collectif du peuple juif.
A
voir l’impact gravissime que l’ultra-orthodoxie a aujourd’hui
sur le judaïsme, force est de constater que les Juifs ne sont
pas encore sortis de l’aliénation... C’est comme
si ils se mettaient dans la peau de victimes passives d’une
catastrophe qui, dans ces conditions, ne peut que se produire.
Réveillons-les!
L’ultra-orthodoxie
face à l’histoire
Par
Shmuel Trigano Chronique prononcée sur Radio
J, le vendredi 31 juillet 2009.
Nous
sortons de la période de deuil du mois d’Av. Entre le
17 Tamouz et le 9 Av, tout au long de l’histoire, se sont produites
de nombreuses catastrophes. Je voudrais commenter une déclaration
du leader spirituel du parti Shas, qui est en même temps une
autorité en matière de droit halakhique, le Rabbin Ovadia
Yossef.
Il
déclare dans le journal Maariv que les victimes de la Shoa
ont été “les réincarnations des âmes
pécheresses issues des précédentes générations”
et que la Shoah “comme toutes les calamités
qui ont frappé le peuple d’Israël est rattachée
au crime du Veau d’or. Les tragédies endurées
à travers les générations, la Shoah, l’Inquisition,
en font partie”. Il reconnaît que parmi les victimes
de la Shoah, il y avait “des hommes bien. Mais ils ont été
punis pour les fautes des générations précédentes.
Tout le monde veut trouver une explication à la Shoah: malheur
à nous qui avons péché. Il va sans dire que nous
croyons à la réincarnation. La Shoah est la réincarnation
de nos âmes. Notre maître, le Ari (Itzhak Louria) a dit
qu’il n’y a aucune nouvelle âme dans notre génération.
Toutes ont déjà existé avant de revenir dans
ce monde”.
Outre
leur caractère cinglant et attentatoire à la dignité
des gens, ces propos laissent entendre une erreur doctrinale importante
quant au judaïsme, dont les conséquences existentielles
et politiques sont lourdes, notamment quand ils inspirent les milieux
religieux. Plus grave: ils ont des effets directs, par le biais du
parti Shas, sur la politique israélienne.
Trois
erreurs doctrinales
Qu’est
ce qui se dégage immédiatement de cette théorie?
Trois idées étrangères au judaïsme qui,
du point de vue de la pensée, n’est pas une auberge espagnole
où chacun trouverait ce qu’il y apporte.
La
plus puissante est l’idée chrétienne de “péché
originel”, en l’occurrence, la faute du Veau d’or,
dont les Juifs ne cesseraient de subir les conséquences, quoi
qu’ils fassent et quelle que soit leur moralité et leur
responsabilité. Ils ne pourraient rien faire par leurs propres
actes pour s’en libérer (si ce n’est adhérer
au Shas?).
La
deuxième idée, qui en découle, et qui est le
propre de l’islam, est celle de la fatalité, du “mektoub”.
C’était écrit depuis le Veau d’or que l’Inquisition,
puis la Shoa (et demain quoi?) devaient se produire. La condition
juive est ainsi vouée à la passivité, à
la souffrance et au martyre.
Enfin,
la troisième idée est hautement problématique.
Elle vient de la kabbale d’Itzhak Louria, par ailleurs un immense
mystique: la thèse de la réincarnation des âmes.
Or, cette thèse n’a aucune base, ni aucune source dans
les textes du judaïsme ni aucune possibilité de se développer
dans la cohérence intellectuelle de son système. Elle
est par contre typique du bouddhisme et de sa philosophie du Karma,
une doctrine qui ne peut admettre, ni concevoir, l’idée
de création et qui est donc à l’opposé
du monothéisme et de sa conception du temps. Le salut des âmes
est trouvé dans l’immanence pour la philosophie du karma,
au terme d’une très longue séquence temporelle
(de réincarnations successives) alors qu’il est trouvé
dans la transcendance et dans ce monde-ci dans le monothéisme,
car contrairement au bouddhisme, la loi divine offre un moyen aux
hommes de se refaire une âme. Il y a ici un paradoxe...
Si
le rabbin Ovadia Yossef est un grand décisionnaire juridique,
il est un penseur juif problématique. Or, la cohérence
intellectuelle du judaïsme n’est pas moins importante que
sa rationalité juridique. Contrairement aux idées reçues,
le judaïsme n’est pas une orthopraxie aveugle et matérialiste.
C’est aussi une pensée, sans être, en principe,
une “orthodoxie”. Indépendamment de cette question,
ses idées forment un système rationnellement cohérent
sur le plan global du modèle de civilisation.
Les
présupposés intellectuels du Rabbin Ovadia Yossef retentissent
nécessairement sur l’esprit et la psychologie qui inspirent
ses décisions en matière de halakha.
Responsabilité
versus passivité
Il
y a, à la base de cette perspective, une méprise patente
sur le sens de la pensée prophétique, dont elle recommande
implicitement: une confusion entre la responsabilité et la
fatalité. Il est vrai que, face aux drames de l’histoire,
les prophètes bibliques appellent Israël à examiner
les fautes morales qui ont pu les provoquer. A leurs yeux, l’histoire
du monde n’est pas sous l’empire de l’absurde et
du hasard mais elle se déroule dans l’horizon de l’ordre
de la création et de l’alliance sinaïtique. Tout
désordre de l’histoire reflète un désordre
de l’humain. L’ordre, cependant, n’est pas une assignation
à un destin clos mais un horizon promis à travers la
fidélité à l’alliance et à ses lois.
L’homme est donc, en définitive (car il est néanmoins
un être créé) le maître de son histoire:
il peut y réparer ses erreurs, en s’efforçant
d’ajuster sa vie aux normes de l’alliance. Le jugement
des âmes est ainsi en suspens, c’est pourquoi le repentir
et le pardon sont possibles.
Si
l’on couple cette théorie avec celle de la réincarnation,
l’appel à la responsabilité devient la soumission
à la fatalité. C’est une idée fondamentalement
étrangère à la pensée juive, j’entends
à sa cohérence interne même si des Juifs ont pu
la forger. En d’autres lieux, on parlerait d’hérésie
théologique. Et l’on constate à ce propos combien
le dédain des milieux ultra-orthodoxes pour la pensée
juive peut avoir d’influences négatives sur la qualité
de leur étude exclusivement talmudique.
Mais
cette conception provoque des dégâts existentiels car
elle encourage, sur le plan de l’individu et de la collectivité,
une démission devant les défis de l’existence
et une soumission au destin. Elle a des effets politiques car elle
ne peut qu’être hostile à l’assomption de
la souveraineté qui implique une attitude assumant la condition
de sujet collectif et de volonté, et cette démission
devant l’histoire, engendrant des catastrophes sans fin, définit
bien la doctrine politique défaillante de l’ultra-orthodoxie
et donc du Shas qui ambitionne d’être un parti de gouvernement.
Décidemment,
la révolution mentale que fut le sionisme politique est encore
à venir. Elle est commandée par le refus du destin et
de la condition victimaire, couplé au projet volontariste et
actif de rédimer le sort collectif du peuple juif.
A
voir l’impact gravissime que l’ultra-orthodoxie a aujourd’hui
sur le judaïsme, force est de constater que les Juifs ne sont
pas encore sortis de l’aliénation... C’est comme
si ils se mettaient dans la peau de victimes passives d’une
catastrophe qui, dans ces conditions, ne peut que se produire.
Réveillons-les!
La
bataille de Jérusalem
Shmuel
Trigano
27 juillet 2009
Il
y a quelques jours nous avons appris que Barak Obama considérait
Jérusalem « Est » comme une colonie. Le ministre
français des affaires étrangères lui a aussitôt
mimétiquement emboité le pas en convoquant l’ambassadeur
d’Israël pour lui intimer de cesser immédiatement
toute « colonisation » de la ville. Il est fort probable
que l’Union européenne le suive de sorte qu’une
unanimité mondiale risque de peser sur Israël, jusqu’à
l’étouffer et surtout le diviser (1), car l’esprit
de la démission souffle sur ses élites comme sur les
élites occidentales.
C’est
le premier signe avant-coureur de la future bataille de Jérusalem
qui décidera de l’avenir de l’Etat d’Israël
et, par ricochet, du peuple juif dans son ensemble et du judaïsme.
Ce ne sont pas des terrains ni un espace qui sont en jeu quoique cette
dimension soit importante. Après la division de Berlin, ce
sera la première ville que la dénommée «
communauté internationale » entreprendra de rediviser.
L’ironie veut que ceux là même qui condamnent la
barrière de sécurité, destinée à
repousser le terrorisme sanglant que l’Autorité palestinienne
pratiqua durant des années contre la population civile israélienne,
sont ceux qui aspirent à reconstruire un mur dans Jérusalem.
Il
faut se souvenir de l’occupation jordanienne de 1948 à
1967 qui désécra les lieux saints juifs et bannit les
Juifs de la ville. La communauté internationale ne trouva aucune
raison de combattre ni même de condamner cette occupation, pourtant
contraire aux traités et aux lois internationales. Elle prît
fin avec l’agression de la Jordanie durant la guerre des 6 jours,
des suites de laquelle Israël se retrouva dans cette partie de
la ville. Si l’on prend aussi en compte la nature de la politique
de l’Autorité Palestinienne qui exclue toute possibilité
pour les Juifs ne serait-ce que de traverser le territoire sous sa
gouverne (2), il faut s’attendre qu’à l’est
de Jérusalem redivisée les Juifs soient de nouveau interdits.
Ceux
qui condamnent aujourd’hui ce qu’ils appellent le «
mur de l’apartheid » ont-ils jamais compris que la barrière
de sécurité vise à limiter le principe d’exclusion
ethnique qui régit la politique palestinienne, comme celle
de tout le monde arabe où les non musulmans sont en voie de
disparition, à commencer les chrétiens dans la Bethléem
islamo-palestinienne?
Mais
c’est plus qu’un territoire au demeurant infime qui est
en jeu, c’est un symbole capital pour la continuité juive
et la logique du judaïsme. En effet, ce sont le souvenir de Sion
et l’aspiration à y revenir qui furent les poutres maîtresses
de la continuité et de l’avenir des Juifs tout au long
d’un exil de 25 siècles. Jérusalem fut le point
fixe, le centre de la nébuleuse des diasporas. Ce n’est
pas un hasard que le sionisme se nomma en fonction de Sion et qu’il
finit par gagner l’assentiment de toutes les communautés
juives après la Shoah. Jérusalem est le cœur vibrant
de l’histoire d’Israël.
Ne
pas être de retour à Jérusalem et attendre la
réalisation de l’idéal prophétique, ce
qui fut le cas durant 20 siècles, est très différent
d’être à Jérusalem et d’y renoncer
ou d’être contraint à y renoncer, ce qui pourrait
être le cas demain. Ce serait porter atteinte au symbole clef
de l’architecture du peuple juif et du judaïsme, sans compter
le principe même de l’existence et de la légitimité
morale et historique de l’État d’Israël :
le sionisme dépouillé de Sion. Le souffle prophétique
qui anime le peuple juif serait alors voué à se retourner
contre son âme jusqu’à l’étouffement
et l’on pourra s’attendre à sa décomposition
comme un château de cartes d’où l’on aura
retiré la pièce maîtresse. Une forme de suicide
symbolique.
Que
ce soit le désir ardent du monde arabo-musulman dans sa majorité,
ce n’est pas dubitable. Est-ce le vœu du monde occidental,
en proie à la rémanence de son héritage chrétien
archaïque ? C’est cette question qu’il faut poser
à ceux qui disent avoir le souci du destin des Juifs.
Ce
qui se trame dans les projets de la « communauté internationale
», c’est tout simplement le déclassement du peuple
juif, non plus défini comme un sujet souverain de l’histoire
mais comme une cause humanitaire à laquelle on concède
le privilège d’exister du fait de sa souffrance. Ce serait
la chute d’Israël, de la stature d’Etat souverain
à celui de camp de réfugiés humanitaire pour
rescapés de la Shoah, le déni du principe de souveraineté
de l’Etat d’Israël. On a remarqué comment
Barak Obama a significativement enchaîné son discours
obséquieux du Caire avec la visite de Buchenwald. Il ne pouvait
mieux exprimer ce qu’il pense de la légitimité
de l’Etat d’Israël : victimaire et non historique,
un Etat croupion sous tutelle internationale, un camp de personnes
déplacées. Prend-on la mesure de la monstruosité
intellectuelle et historique de ces discours qui définissent
la présence d’Israël à Jérusalem comme
une présence « coloniale » ? Si Jérusalem
est bien Jérusalem, c’est bien grâce à 30
siècles d’histoire juive ! Cette définition coloniale
entraîne, en fait, la stigmatisation coloniale de tout l’Etat
d’Israël dont Sion, la colline de Jérusalem, est
le symbole (3) et donc la contestation inéluctable de sa moralité.
Depuis
dix ans, nous assistons à la mise en place progressive d’un
décor qui met en scène l’extermination par étapes
de six millions d’Israéliens (application du programme
fondamental de l’OLP, le « plan par étapes »,
décidé en 1974 (4)) par le biais de l’affaiblissement
de l’Etat d’Israël: accusé d’un «
péché originel » (sic) dans sa conception même,
assimilé à l’Afrique du sud de l’apartheid,
trainé dans la boue, objet de boycott, condamné s’il
réagit aux agressions et abandonné quand il est sous
le feu de ses ennemis (5). Aux dernières nouvelles le «
livre de l’été » des libraires français,
couvert de prix et objet de multiples célébrations,
vient porter le coup de pied de l’âne en « prouvant
» que le peuple juif fut une invention des sionistes. C’est
la pièce finale, nécessairement écrite par un
Israélien aussi complaisant qu’incompétent (6),
pour sonner « moralement » l’hallali !
Ce
qui est en jeu, c’est la liberté de l’homme juif.
Le pronostic vital du peuple juif est aujourd’hui engagé,
il faut le dire avec force et voir plus loin que son nez, comprendre
ce qui se trame.
Les
Juifs du monde entier doivent sortir de leur réserve et affirmer
avec force leur existence de sujets à part entière de
l’histoire, jeter aux ordures les oripeaux d’éternelles
victimes sacrificielles dont on veut les affubler et crier mais aussi
mettre en oeuvre leur refus d’assister passifs à ce cauchemar
en voie de réalisation. Ils ne doivent pas avoir de cesse de
faire la démonstration de leur solidarité indéfectible
avec Jérusalem et de leur réprobation face à
toutes ces menées. Au terme de dix années de harcèlement
moral, depuis la deuxième Intifada, le seuil de tolérance
de la conscience juive va bientôt être franchi !
Je
propose comme maxime pour la décennie à venir la parole
du prophète Isaïe (62,1) :
«
POUR SION JE NE ME TAIRAI PAS !
POUR JÉRUSALEM JE NE RESTERAI PAS SILENCIEUX !» (7)
Shmuel
Trigano le 27 juillet 2009
*Texte
initialement prononcé sur Radio J le vendredi 24 juillet 2009.
Notes
:
1
- Il n’est que de voir la stratégie d’Obama qui,
pour le soutenir dans son ukaze, a invité, en juillet 2009,
à la Maison Blanche des organisations juives triées
sur le volet en prenant soin d’éliminer toutes celles
qui risquaient de trop soutenir Israël. Inutile de rappeler qu’il
est déjà entouré de conseillers « d’origine
juive », appelés à faire la sale besogne dans
leur propre milieu. Ainsi se donne-t-il une estampille de bon aloi
de la part de Juifs de circonstance. Il avait adroitement préparé
le terrain en organiant un seder de Pessah à la Maison Blanche
puis en décrétant en mai-juin, le « mois du judaïsme
américain ». Tout flatteur vit aux dépens de celui
qui l’écoute... A quand la même opération
en France ?
2
- C’est uniquement sous le gouvernement d’Israël
que Jérusalem a été ouverte à toutes les
religions sans discrimination. Au point que l’Etat a confié
au wakf islamique, profondément antisémite, la maîtrise
du Mont du Temple. On se souvient que même sous la domination
israélienne, celui ci, sous la houlette de l’imam de
l’Autorité Palestinienne, a détruit de très
précieux restes archéologiques juifs du sous-sol du
Mont qu’il a jeté dans un dépôt d’ordures
où les archéologues israéliens sont allés
récupérer patiemment des vestiges inestimables.
3
- L’agence de l’OLP, WAFA, a récemment déclaré
(12/7/2009) que la réunion du gouvernement israélien
à Birsheva, une ville située à l’intérieur
des frontières d’Israël de 1949, affirmait la volonté
d’Israël de judaïser le Negev. On ne peut mieux dire
l’irrédentisme palestinien et son refus de la paix. Voir
notre démonstration par les textes in Controverses, n°7,2008,
« Le refus palestinien d’un Etat juif », http://www.controverses.fr/pdf/n7/trigano7.pdf
4
- Cf. http://www.objectif-info.com/index.php?id=299;
http://www.col.fr/article.php3?id_article=270;
http://www.desinfos.com/spip.php?page=article&id_article=2742
5
- La tonalité morale dans laquelle se drapent les réprobations
d’Israël est définitivement frelâtée.
On aura noté que la récente « bavure » de
l’Amérique d’Obama au Pakistan faisant 100 morts
civils, n’a suscité aucune indignation internationale
ni médiatique. On aura remarqué que l’occultation
et la minorisation par l’ONU de dizaines de milliers de civils
tamouls tués par l’Etat du Sri Lanka est passée
inaperçue et que dire de la France et de son ministre des affaires
étrangères, si féru de « droits de l’homme
», de la France dont la responsablité dans le génocide
du Rwanda fut lourdement engagée (cf. Controverses,n° 6,
novembre 2007, Dossier « Génocide du Rwanda, la faute
de Mitterrand », http://www.controverses.fr/Sommaires/sommaire6.htm)
! Nous devons commencer à faire le procès des turpitudes
des grands moralistes de notre temps, pour rétablir la mesure
des choses...
6
- Le professeur Shlomo Sand n’a aucune compétence académique
pour traiter des matières qu’il aborde. Cf. mon cours
sur l’histoire du peuple juif sur le site de Akadem, le campus
numérique.
http://www.akadem.org/sommaire/themes/histoire/7/2/module_6051.php
7
- « Jusqu’à ce que son droit soit reconnu et son
salut brille comme une torche incandescente! » continue le verset.
La
nouvelle politique du Vatican
Shmuel
Trigano 17 mai 2009
Un leurre
est un artifice qui attire l’attention de quelqu’un pour
lui cacher l’événement essentiel qui se déroule
au même moment sur une autre scène. C’est ce qui
s’est passé avec la visite du pape en Israël et
en l’occurrence, ce sont les observateurs qui se sont leurrés
eux-mêmes. A nouveau, c’est la mémoire de la Shoah
qui a servi d’écran. Tout le monde attendait le pape
sur ce qu’il ferait et dirait à ce propos, suite à
l’affaire de la levée d’excommunication d’un
évêque intégriste négationniste (l’affaire
Williamson), tandis que l’essentiel se produisait sur une autre
scène : celle des Palestiniens.
A travers
tous ses discours aux Palestiniens, si pleins de l’emphase et
de l’empathie qu’il n’a pas su trouver pour les
Juifs, Benoît XVI nous apparait comme l’un des papes qui
a le moins de sympathie pour le peuple juif. Ils laissent entendre
l’adoption d’un tournant drastique dans la politique du
Vatican envers les Juifs et démontrent que le pape a épousé
la position palestinienne, dans sa radicalité la plus grande.
Aux
uns la victimologie, aux autres le politique
Le jeu
classique du « devoir de mémoire » a été
rejoué (1) : aux Juifs la reconnaissance du martyre de la Shoah,
aux Palestiniens la reconnaissance politique, voire même théologico-politique.
Une formule forte restera: la Terre sainte définie comme la
« terre des ancêtres » du peuple palestinien, abondamment
évoqué, lui. "Monsieur le Président,
le Saint-Siège soutient le droit de votre peuple à une
patrie palestinienne souveraine sur la terre de ses ancêtres,
sûre et en paix avec ses voisins, à l'intérieur
de frontières reconnues au niveau international."
Quand cette expression est proférée par l’évêque
de Rome, qui doit connaître tout de même son Nouveau Testament
et l’histoire des Juifs dans ces mêmes lieux, elle pèse
d’un poids considérable. Tout un univers psychologique
s’y profile : un État d’Israël défini
par la Shoah et donc refuge humanitaire pour rescapés européens
du nazisme face à un peuple réel, autochtone, héritier
de l’Ancien Israël, « ancêtres » obligent
! Ce qui est en partie faux car une part importante de la population
palestinienne descend de vagues migratoires venant du monde arabe
de la fin du XIX° siècle au début du XX°...
Le
peuple élu de Palestine
Cette
interprétation est confirmée par une autre formule ahurissante,
qu’a justement relevée Menahem Macina dans la Newsletter
de l’U.P.J.F. (2), prononcée à l’occasion
du départ du pape des Territoires palestiniens : “Mon
souhait sincère pour vous, peuple de Palestine, est que cela
arrivera bientôt, pour vous permettre de jouir de la paix, de
la liberté et de la stabilité dont vous avez été
privés depuis si longtemps. Avec angoisse, j’ai été
le témoin de la situation des réfugiés qui, comme
la Sainte Famille, ont été obligés de fuir de
leurs maisons. » Or, la "Sainte Famille" fuit
Bethléem pour échapper au massacre des enfants que le
Roi d’Israël Hérode s’apprête à
perpétrer pour éliminer Jésus (Évangile
selon Matthieu 2, 13).
Cette
comparaison appelle inéluctablement dans l’oreille chrétienne
et sans doute dans la compréhension papale, une identification
des Palestiniens à la famille de Jésus, le “véritable
Israël” persécuté par l’Israël
déchu, “l’Israël selon la chair”, en
l’occurrence les Israéliens contemporains qui, de surcroît,
se voient implicitement accusés de fomenter le massacre des
enfants! On sait que l’accusation de crime rituel est le mythe
central du Nouvel antisémitisme, adroitement exploité
par l’Autorité Palestinienne et le Hamas. L’Église
vient de la consacrer de façon subliminale.
Benoît
XVI n’a pas manqué de bénédictions enthousiastes
du peuple palestinien. Dans son discours de départ des territoires
palestiniens : « Puisse-t-Il bénir par la paix le
peuple palestinien ! ». Au camp de réfugiés
d’Aïda : « Puisse Dieu bénir son peuple
avec la paix ! ». Dans son homélie à la place
de la Mangeoire : « Vous-mêmes, peuple choisi de Dieu
à Bethléem ». Dans son discours devant Mahmoud
Abbas : « J’invoque sur tout le peuple palestinien
les bénédictions et la protection de votre Père
céleste » (3). Je ne vois pas beaucoup de bénédictions
de ce type sur le peuple d’Israël envers lequel l’Église
a tout de même, à ce qu’elle prétend, d’autres
liens!
La
justification de la guerre ?
Comment
quasiment tous les observateurs ont-ils pu voir dans les discours
du pape des paroles de paix ? J’y entends tout au contraire
des encouragements à la violence.
Le
droit au retour
Faire
l’apologie du droit au retour des réfugiés, que
réclame l’Autorité Palestinienne, est-ce autre
chose que vouer à la disparition en douceur l’État
d’Israël, et bien sûr l’État juif? Le
pape a exprimé sa “solidarité à l’ensemble
des Palestiniens qui n’ont pas de maison et attendent de pouvoir
retourner sur leur terre natale, ou d’habiter de façon
durable dans une patrie qui soit à eux”. C’est
la meilleure façon de ruiner la paix et de confirmer les Palestiniens
dans leur projet d’éradication de l’État
juif, qu’ils disent très officiellement aujourd’hui
ne jamais vouloir reconnaître. Tous les Israéliens, de
la gauche à la droite, sont opposés à cette revendication
qui noierait les Israéliens sous le flot des Palestiniens.
Dans cette remarque du pape; il y a une autre façon de méconnaître
la réalité du peuple juif, celui qui est originaire
des pays arabo-islamiques et dont provient la majeure partie de la
population d’Israël. L’existence juive a été
quasi totalement éradiquée en terres d’islam depuis
les années 70 du XX° siècle. 900 000 Juifs se sont
vus expulsés par la violence ou exclus et poussés au
départ. Ils ont alors trouvé, pour 600 000 d’entre
eux, en Israël une terre où s’installer. La scène
que l’autorité palestinienne a mise en place pour l’accueil
du pape ou un ballet de jeunes enfants a agité des clefs noires
symbolisant les maisons abandonnées écrit une version
unidimensionnelle de l’histoire car autant de Juifs que les
Palestiniens ont été aussi chassés et spoliés
de leur maisons dont ils possèdent, eux aussi, les clefs. Il
y a eu un échange de populations et Israël est quitte
!
Détruire
le mur
Comment,
trouver des “paroles de paix” dans la condamnation du
“mur” à l’occasion de la savante mise en
scène de la réception du pape devant la “barrière
de sécurité” qui n’est pas un mur sur sa
plus grande longueur ? Reçu dans la cour d'une école,
à 10 mètres de là, le pape a déploré
qu'" au-dessus de nous, qui sommes rassemblés ici
cet après-midi, s'érige le mur, rappel incontournable
de l'impasse où les relations entre Israéliens et Palestiniens
semblent avoir abouti. Dans un monde où les frontières
sont de plus en plus ouvertes, pour le commerce, les voyages, le déplacement
des personnes, les échanges culturels, il est tragique de voir
des murs continuer à être construits ". C’est
très démagogique de tenir un tel langage face à
un monde arabe où les non musulmans sont en voie de disparition
du fait de l’intolérance, face à une Palestine
dont tous les documents officiels déclarent qu’il ne
doit y avoir aucun Juif qui y réside. Au moment de prendre
congé du président de l'Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbas, le pape devient combattif : " J'ai vu le mur
qui fait intrusion dans vos territoires, séparant des voisins
et divisant des familles. Bien que les murs puissent être facilement
construits, nous savons qu'ils ne subsistent pas toujours. Ils peuvent
être abattus. " Le pape a-t-il oublié qu’avant
cette barrière le terrorisme palestinien faisait des ravages
dans les villes israéliennes ? Prônerait-il aux Juifs
le martyre passif sous la main des terroristes ? Comment peut-il évoquer
la globalisation et la fin des frontières dans un milieu où
l’État d’Israël est sans cesse sous la menace
de la destruction totale? En évoquant la possibilité
d’abattre « les murs », ne justifie-t-il pas la
violence ? Comment peut-il définir le fait de ne pas commettre
d’actes terroristes comme un courage, si ce n’est pour
assumer implicitement sa compréhension pour une telle «
tentation » ? « Ayez le courage de résister
à toutes les tentations que vous pourriez ressentir de vous
livrer à des actes de violence ou de terrorisme. Au contraire,
permettez que ce vous avez vécu renouvelle votre détermination
à construire la paix ? » Qu’est-ce qui a été
vécu ? La politique des attentats de l’Autorité
Palestinienne au lendemain d’Oslo ?
Le
“blocus” de Gaza
Quant
à la condamnation du blocus de Gaza, la même mémoire
sélective y est à l’oeuvre. “Soyez assurés
de ma solidarité dans l’immense tache de reconstruction
à laquelle vous devez faire face et de mes prières pour
que l’embargo soit bientôt levé”. Pas
un mot sur le Hamas (solidaire avec lui?), ni sur ses responsabilités
(8000 missiles lancés durant des années sur Israël),
ni sur le fait que Gaza a deux frontières, avec l’Égypte
notamment, à qui il ne tient que d’ouvrir la sienne...
Le
droit à une patrie souveraine sur la terre des ancêtres
On ne
peut pas mieux méconnaître la généalogie
du conflit qu’en soutenant la version de l’histoire qui
nourrit la déclaration faite devant Mahmoud Abbas: “Le
Saint Siège soutient le droit de votre peuple à une
patrie palestinienne souveraine sur la terre de ses ancêtres
sûre et en paix avec ses voisins, à l’intérieur
de frontières reconnues au niveau international”.
Or, ce sont les Palestiniens qui ont refusé depuis le début
du XX° siècle toute solution de compromis et de partage,
toute souveraineté dans le cadre d’une solution à
deux États, le dernier refus en date étant celui d’Arafat
devant la proposition de Barak. Qui n’a pas de frontières
reconnues si ce n’est Israël dont les frontières
ont été toujours des frontières d’armistice
consécutives aux guerres déclenchées par les
États arabes? Aujourd’hui même l’Autorité
Palestinienne, pour ne pas mentionner le Hamas, récuse le principe
d’un État juif. Elle a en effet l’ambition
ultime de submerger l’État juif en demandant le retour
des “réfugiés”. Comment parler d’État
souverain sur la terre des ancêtres? Le pape ignore-t-il que
pour l’Autorité palestinienne comme pour le Hamas, la
Palestine comprend également le territoire israélien?
Par ailleurs sur le territoire mandataire de la Palestine, un État
arabe a déjà été créé, peuplé
en grande majorité par des Palestiniens : la Jordanie.
Les
réfugiés
Que
signifiait aussi d’aller visiter un “camp” de réfugiés,
sinon accréditer le récit arabe? Les “réfugiés”
palestiniens sont les seuls réfugiés, parmi des dizaines
millions de réfugiés d’après la deuxième
guerre mondiale (Grèce-Turquie, Pakistan-Inde, et Afrique,
Europe, Asie), qui sont restés des “réfugiés”
et pour lesquels une institution spéciale de l’ONU a
même été créée, l’UNRWA, distincte
du Haut commissariat aux réfugiés. Ils sont les seuls
“réfugiés” au monde que les pays hôtes,
pourtant “frères”, n’ont jamais voulu intégrer,
les seuls réfugiés dont la condition s’hérite
de père en fils. Comment accréditer la version de leur
malheur alors que des sommes fabuleuses sont déversées
par les nations du monde et notamment l’Europe sur la Palestine
pour aider à l’amélioration de leur sort, des
sommes qui finissent dans les poches de la bureaucratie mafieuse de
l’OLP?
La démission politique
Le plus étonnant dans ce florilège de discours est le
silence respectueux gardé par le pape sur la situation des
chrétiens en territoires palestiniens et plus largement dans
le monde musulman. L’appel qu’il leur a lancé à
ne pas émigrer et l’exhortation à “être
des bâtisseurs de ponts” n’est ni crédible
ni réaliste. S’il a pu penser qu’en faisant un
discours pro-palestinien il s’attirerait les bonnes grâces
du monde arabe au profit des Arabes chrétiens, il s’est
lourdement trompé car les soutiens des chrétiens sont
clairement du côté d’Israël... La comparaison
des flux de population parle d’elle même. En 1990, les
chrétiens représentaient 60% de la population de Bethlehem,
aujourd’hui, ils ne sont plus que 20% et ce chiffre ne cesse
de baisser du fait de l’oppression dont ils sont victimes dans
les territoires de l’Autorité palestinienne pour ne pas
parler de Gaza. Les chrétiens dans les territoires palestiniens
sont sur le point de disparaître, de 15% de la population en
1950 à moins de 1% actuellement. A l’inverse, en Israël,
leur nombre augmente, passant de 34.000 en 1948 à plus de 140.000
actuellement. Que penser de ce silence sinon qu’il était
une solution de facilité et de basse politique pour se refaire
une réputation en monde musulman aux dépens d’Israël,
après sa sortie de Ratisbonne. Spiritualité ? Message
de paix ?
Les
leçons de la visite
La
vraie finalité du “devoir de mémoire”
Nous
avons dans cet épisode un condensé d’enseignements
significatifs. Il confirme le modèle que j’ai construit
pour comprendre le fonctionnement idéologique du “devoir
de mémoire”. La Shoah est devenue le contrepoids à
la reconnaissance de la condition juive dans le politique et l’histoire,
c’est à dire la reconnaissance des Juifs comme peuple,
ce qui est en jeu avec Israël et le sionisme. La reconnaissance
des victimes de la Shoah dans les Juifs (un peuple mort) justifie
la condamnation ou la relégation ou la méconnaissance
des Juifs comme sujet souverain de l’histoire (peuple vivant).
Sur
ce plan là du politique, les bénéficiaires de la
mémoire de la Shoah sont les Palestiniens, reconnus, eux dans
les attributs d’un véritable peuple avec tous les droits
qui s’ensuivent et les devoirs pour Israël, rétrogradé
au rang de refuge humanitaire pour Juifs persécutés, le
contraire d’une vraie nation. Cette condition assigne les Juifs
à un rôle sacrificiel, victimaire. Ils devraient ainsi,
si l’on en croit le pape, supporter avec abnégation les
actes terroristes sans réagir.
La deuxième
conséquence de ce syndrome malsain constitue le peuple palestinien
en peuple messianique, en fait le véritable Israël, un
vecteur planétaire de l’histoire humaine. On assiste
alors à l’enchantement quasi religieux du nationalisme
palestinien, un des plus rétrogrades de notre temps, tandis
que le sionisme est affublé de tous les ismes de la répulsion.
La
méthode palestinienne
Il faut
aussi dans cet épisode constater l’habilité palestinienne
à mettre en scène la passion christique de leur peuple.
Le décor de la réception du pape est théâtralement
choisi: devant la barrière de sécurité, avec
le lâcher de ballons noirs, un pour chaque année de l’existence
d’Israël, le ballet de jeunes enfants (évidemment
les “enfants”!) avec des clefs noirs et pour finir le
“message de paix” de Mahmoud Abbas lancé aux Israéliens
devant les caméras mondiales, comme pour faire contraste avec
la noirceur israélienne. Il aurait fallu que le pape se déplace
quelques mètres plus loin et consulte les manuels scolaires
de l’Autorité Palestinienne, allume la télévision
palestinienne, lise la presse palestinienne pour savoir quel message
d’hostilité contre les Juifs (c’est ainsi que sont
appelés les Israéliens dans le langage courant) est
constamment diffusé dans cette société. L’esclandre
fait par le cheikh Tamimi, chef des tribunaux islamiques de l’Autorité
palestinienne - ce qui n’est pas rien - lors du “dialogue
interreligieux” organisé par le pape, est très
significatif de l’état de l’opinion palestinienne.
Ce partage entre un leader qui joue le rôle de la modération
et l’autre qui incarne la guerre est un trait politique commun
à tout le monde islamique (Khamenei-Ahmadinejad en Iran). Le
partage Hamas-Autorité Palestinienne s’inscrit dans un
même jeu politique. L’un parle à l’Occident,
l’autre à l’opinion arabo-islamique.
Le
discours médiatique
Le scénario
retenu par le récit médiatique était déjà
prédéterminé par le rééquilibrage
qu’avait permis l’affaire Williamson. Les médias
avaient alors durement stigmatisé le pape, alors qu’eux
mêmes sortaient d’une violente diatribe de plusieurs semaines
contre Israël du fait de la guerre de Gaza. La condamnation du
pape équilibrait sur le plan moral (devoir de mémoire
oblige!) cette critique ressentie au fond comme abusive. En condamnant
le pape, les médias démontraient qu’ils condamnaient
le négationnisme et l’antisémitisme. C’est
donc sur ce plan-là que le pape était attendu en Israël.
Toutes les caméras et les micros furent braqués sur
Yad Vashem et le rapport du “pape allemand” à la
Shoah. Le tournant radical pris par le Vatican à Bethlehem
fut à peine remarqué. Sans doute aussi parce que ce
qui y fut dit correspond à l’opinion commune de la sphère
médiatique, si commune qu’on ne la remarque plus. Et
l’on ne peut ignorer que peut-être aussi le pape a voulu
se “racheter” auprès des médias (en même
temps que de l’opinion musulmane) en adoptant le narratif médiatique
sacro-saint de la cause palestinienne.
L’hémiplégie
du leadership juif
De quoi
se plaint-on devant un tel paysage ? Le leadership juif y a sa part.
Voici une quinzaine d’années, il a fait un choix stratégique
catastrophique qui mène aujourd’hui les Juifs au bord
de l’abîme, en donnant à accroire aux nations du
monde que l’intérêt suprême des Juifs était
la reconnaissance de la mémoire de la Shoah. Depuis tant d’années,
des politiques entières, des budgets considérables,
des littératures immenses ont été consacrés
à cette cause aux dépens des intérêts vitaux
des Juifs, avant tout l’État d’Israël comme
entité souveraine, historique et politique, la survie des communautés
juives non pas comme des conservatoires de la mémoire mais
des collectivités vivantes, créatives, défendant
leurs intérêts, défendant et illustrant la culture
du judaïsme. Tous ces postes ont été abandonnés.
Et l’on peut aller jusqu’à dire que la désaffection
des Juifs, et notamment des jeunes, pour la vie juive en est la conséquence
la plus dramatique. Quelle espérance, quelle jouissance d’être
ce judaïsme-là a-t-il à proposer aux jeunes générations
? Quelle grande œuvre ?
La visite du pape nous donne à le voir à nouveau dans
un mouchoir de poche. Je ne comprends pas la satisfaction que des
représentants du judaïsme affichent officiellement (4).
Ils ne parlent que de la visite à Yad Vashem et pas à
Bethlehem. Ils ne témoignent de souci que pour la mémoire.
Leur oreille est-elle sourde au discours palestinien du pape, ou finalement
sont-ils d’accord avec ce partage entre le martyre pour les
uns et la souveraineté pour les autres ? Je sais que c’est
le gage idéologique qu’il leur faut aujourd’hui
donner pour accéder à la tribune médiatique sous
peine d’être taxé de tous les ismes possibles.
Mais il faut avoir un peu plus confiance en la parole prophétique
d’Israël ! S’ils ne font pas entendre que le dialogue
judéo-chrétien ne peut se faire sur la base de la méconnaissance
de la condition de peuple des Juifs - la cible du nouvel antisémitisme
et donc la chose la plus chère - on ne voit pas pourquoi l’Église
le prendrait en compte. La même chose vaut pour le dialogue
judéo-musulman avec le contentieux historique du judaïsme
sépharade. Le leadership juif a-t-il déjà renoncé
à Israël pour conserver son influence ? Il court le risque
de ne plus représenter que lui même.
Notes :
1 - Cf. mes blogs précédents (« Un scandale qui
tombe à pic ») et plus généralement Les
frontières d’Auschwitz, les dérapages du devoir
de mémoire, Livre de Poche Hachette, 2005.
2 - http://www.upjf.org/actualites/article-16387-143-7-necsletter-upjforg-9-au-15-mai-2009-couverture-abondante-
visite-pape-en-terre-sainte.html.
3 - Selon les remarques judicieuses rapportées par Nicolas Baguelin
sur son blog (cité par Menahem Macina):http://pape-en-israel.blogs.la-croix.com/nicolas-baguelin/entre-politique-et-religieux/
4 - Le Figaro, vendredi 15 mai 2009.
Les
deux fautes de la fondation de la mémoire de la Shoah
Shmuel
Trigano
23 avril 2009
En lançant
l’opération « Aladin » à l’UNESCO,
en partenariat avec l’Organisation de la Conférence Islamique
(OCI), la Fondation de la Mémoire de la Shoah (FMS) a commis
deux graves fautes, une faute politique et une faute morale. Ce n’est
pas le projet de mettre le récit de l’histoire de la
Shoah à la portée du monde musulman, et dans ses langues
parlées, au moyen d’un site et sans doute à l’avenir
de publications et d’événements, qui est en question.
Ce sont les alliances problématiques qui le rendent possible
et l’étrange troc politico-symbolique qui nourrit leur
contenu. L’incompétence politique le dispute à
l’indignité.
LA
FAUTE POLITIQUE
Connaissez-vous
l’Organisation de la Conférence Islamique ?
Son président
était présent à l’UNESCO. C’est une
Organisation internationale qui milite pour « défendre
les intérêts et assurer le progrès et le bien
être ... de tous les musulmans à travers le monde
». Fondée en 1969 à Rabat, après la tentative
d’attentat contre la Mosquée El Aksa à Jérusalem
par un fondamentaliste australien, son siège provisoire est
à Djeddah, en Arabie Saoudite, dans l’attente de «
la libération de Jérusalem ».
Sa
charte (1972) lui assigne comme objectif « la défense
des lieux saints de l’islam et la libération de la Palestine
». Sa création est une des conséquences de la conférence
de Khartoum de septembre 1967 connue par sa devise des « trois
non» : pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance
d’Israël, pas de négociations avec Israël...
C’est
cette conférence qui décida de l’utilisation de
l’arme du pétrole, prépara la guerre du Kippour
(1973) et fit de la défense des droits du « peuple palestinien
» (une des premières occurrences de ce terme) le but
de sa politique. En mars 1989, l’OCI fut à la tête
de la croisade contre le livre de Rushdie Les versets sataniques,
et c’est elle qui agite « la rue arabe » chaque
fois que l’Occident commet une « faute » envers
l’islam.
En 1990,
l’OCI adopte la « Déclaration des droits de l’homme
en Islam » qui fait dépendre les droits de l’homme
de leur conformité avec les principes de la Charia, une loi
qui ne reconnaît pas l’égalité des non-musulmans
et des femmes.
Connaissez-vous
l’Alliance des Civilisations ?
Cette Organisation,
qui dispose de budgets considérables venant des monarchies
pétrolières du Golfe, est la poutre maîtresse
d’un projet politique d’envergure mondiale : l’Alliance
des civilisations (1) Née d’un projet du président
iranien Mohamed Khatami (le Dialogue des Civilisations) pour s’opposer
à ce qu’il croit être le projet de l’Occident,
le « clash des civilisations », la création de
l’Alliance fut théorisée en septembre 1998 à
Durban lors de la conférence du mouvement des non alignés.
Cette même conférence lançant le projet de faire
de 2001, l'année du dialogue des civilisations, ce qui fut
entériné par une résolution de l'AG en novembre
1998. Elle s’institua par la suite à l’ONU sous
la forme d’une instance à part entière.
Dirigée
par un Haut représentant, Jorge Sampaio, ancien président
portugais, elle est soutenue par la Turquie, le Maroc et l’Espagne,
convertie à ce projet au lendemain des attentats d’Al
Qaida à Madrid.
De nombreuses
fondations, notamment européennes, des multinationales et la
Commission Européenne en premier, le projet euro-méditerranéen,
apportent leur soutien et leurs fonds à une entreprise qui
ambitionne de développer le dialogue entre les civilisations
mais dont les retombées (et les objectifs inavoués)
visent surtout à briser le cadre universel des relations
internationales qui se fondent sur le primat des droits des individus
et des règles universelles pour les refonder sur des rapports
de « bloc », de « civilisations » - de religions,
en fait - qui préserveraient ainsi leurs normes spécifiques
contre des normes universelles. C’est exactement ce qui motive
une déclaration islamique des droits de l’homme...
Il est clair que l’un des buts politiques les plus importants
de l’Alliance est de sanctuariser l’islam dans le monde
entier, d’interdire toute critique à son égard
et de l’installer sur toutes les scènes de la culture
occidentale comme une donnée centrale. Lors du récent
Durban II, à Genève, l’OCI s’est faite l’avocate
de l’interdiction mondiale du blasphème et elle l’a
obtenu sous la catégorie de « haine religieuse »,
ce qui est pire.
Dans
ce projet, les partenaires concernés sont embrigadés
sous le jour lénifiant du « dialogue ». Les Juifs
sont particulièrement sollicités tout en étant
réduits au rôle de figurants. Il faut, en effet, impérativement
donner le spectacle de l’entente et s’assurer de leur
participation pour accréditer cette entreprise qui se met sous
l’égide du mythe de l’« Age d’or andalou
» (2). Comment croire à la pureté de ces intentions
alors que tous les pays islamiques sont actuellement soulevés
par une vague d’antisémitisme virulent dont l’OCI
est l’un des plus importants facteurs? Nous sommes entrés
dans une ère où la culture et la religion sont instrumentalisées
à des fins exclusivement politiques : prestige, puissance,
gloire. La diplomatie des « civilisations », qui n’est
plus celle des États, annonce une ère de guerres identitaires
et culturelles.
Elle
met, dans son fondement même, l’Occident au banc des accusés
en le contrastant avec l’islam, « religion de paix ».
C’est ce qu’on lit dans « L’Appel à
la conscience » signée à l’occasion de l’inauguration
:
« L’Islam reconnaît le judaïsme et le christianisme
comme des religions révélées. Les Musulmans considèrent
les Juifs et les Chrétiens comme des frères appartenant
au «Peuple du Livre» qui partagent tous le monothéisme
d'Abraham ... Juifs et Musulmans, au Moyen-Orient et en Afrique du
Nord, ont vécu ensemble pendant des siècles et, s'il
est vrai que les Juifs furent souvent victimes de discriminations
dans le monde musulman, ils furent rarement persécutés.
A la différence de leur sort en terre chrétienne,
les Juifs n'ont pas été contraints d'abjurer leur foi.
Les premiers stéréotypes antijuifs
sont apparus, dans le monde musulman, au XIXe siècle, lors
de la conquête (sic) du monde musulman par les puissances coloniales
européennes. Il importe de le rappeler. »
La déroute de la FMS
En s’inscrivant
dans cette mouvance, la FMS, est tombée dans un piège
majeur dans l’arène des symboles et de l’idéologie.
Elle n’a pas hésité à mettre de côté
le contentieux entre le monde arabo-musulman et le monde juif pour
assurer l’image de la Shoa dans l’opinion arabo-musulmane,
alors que le négationnisme qui s’y développe a
pour finalité unique de délégitimer l’État
d’Israël. La FMS a fait en somme de cette mémoire
une « transcendance » complètement séparée
du destin des Juifs.
C’est
bien ce qu’on lit aussi dans « L’Appel à
la conscience »:
« La compréhension par les Musulmans de l'Histoire
des Juifs, comme la compréhension de l'histoire des Musulmans
par les Juifs (remarquons le balancement qui partage les responsabilités)
est pervertie par des mythes et de la malveillance, qui les rend
insensibles à la souffrance de l'autre, passée et présente.
Mais, parmi les nombreux sujets qui nous divisent, il y en a un qui
doit être exclu du champ politique, idéologique
et religieux. Il s'agit de la Shoah, le génocide nazi au
cours duquel six millions de Juifs d'Europe ont été
massacrés.»
On ne
peut mieux entériner la « religion de la Shoah »,
vivante dénégation du statut historico-politique des
Juifs qui fonde leur existence comme État ou communautés
diasporiques, ce qui est aujourd’hui au cœur du nouvel
antisémitisme et de la survie de l’État d’Israël.
On ne peut mieux saper à la base l’identification et
la compréhension du nouvel antisémitisme contre lequel
la FMS est censée lutter, parmi ses attributions...
Le
discours de Jacques Chirac lors de l’inauguration était
très significatif de cette déroute. L’ancien président,
comme d’ailleurs d’autres orateurs qui lui ont succédé,
ont inscrit le conflit proche-oriental et leur soutien à la Palestine,
dans leur adhésion : « J’ai dit aux Israéliens
que la colonisation était une faute. On ne construit pas la paix
avec son voisin en expropriant ses terres, en arrachant ses arbres,
en bouclant ses routes… ». L’ancien président
a également reproché à certains de « vouloir
faire porter aux pays musulmans une culpabilité qui n’est
en aucun cas la leur ».
L’histoire
retiendra qu’il a mis en branle il y a quelques années
la machine inquiétante du « devoir de mémoire
» que j’ai eu l’occasion d’analyser dans mon
livre Les frontières d’Auschwitz, les ravages du
devoir de mémoire (3), et qui consiste à dissocier
dans la Shoah le martyrologe des Juifs du peuple juif. Le premier
est dûment célébré comme « universel
», « humain », quasi spirituel (exactement ce que
pensait l’écrivain François Mauriac) mais il est
compris comme l’envers de la condition historico-politique de
l’existence des juifs comme peuple vivant, sauf si les Juifs
consentent à devenir les grands prêtres de cette mémoire
: une belle façon de contourner et de sublimer la culpabilité
de l’Europe. Dans cette mémoire étatisée
à travers des Mémoriaux, des Fondations, des Chaires
académiques, l’existence du peuple juif avec ses dimensions
communautaires et politiques fait problème. Elle dérange
le côté lisse de l’objet vénéré.
Ce qu’a bien illustré le même Jacques Chirac, auteur
de la « repentance », dans sa politique envers Israël.
La révérence faite à la « mémoire
» victimaire a couramment autorisé moralement et fondé
politiquement l’accablement d’Israël, accusé
de la trahir si bien que les bénéficiaires (moraux et...
financiers) planétaires de cette mémoire sont les Palestiniens.
Nous touchons ici à l’idéologie institutionnelle
de la Fondation de la mémoire. La FMS, qui, à n’en
pas douter s’est lancée dans le processus « Aladin
» en s’inscrivant dans la mouvance chiraquienne, vient
d’apporter une nouvelle confirmation officielle à ce
système idéologique, qui éclaire sa vocation
idéologique implicite dans le paysage européen et mondial.
Que
recherche la FMS avec « Aladin »?
C’est
une question que l’on peut se poser. Il y a une naïveté
sociologique à croire que le négationnisme arabo-musulman
procède de l’ignorance des faits historiques. Il est
au contraire de l’ordre de la croyance et de l’idéologie.
Ce qui s’y trame, c’est moins l’histoire de la Shoah
que le déni de l’existence d’un peuple juif qui
aurait légitimité à la souveraineté. Si
la Shoah en est devenu le vecteur, c’est parce que le peuple
dans les Juifs en fut la cible, détruits en masse, toutes
nationalités confondues. La Shoah pose la question du destin
collectif des Juifs dans la politique moderne. C’est bien
ce qui est en question avec l’État d’Israël.
Dans le débat idéologique contemporain, y compris en
Occident (4), la Shoah joue ainsi le rôle d’un substitut
symbolique de la notion de peuple juif. Toutes les accusations
d’excès de mémoire, de lobby juif, d’exploitation
de la mémoire par l’État d’Israël ou
les communautés juives, découlent de cette substitution
symbolique. Tout lien de la Shoah au peuple juif est ainsi portraituré
comme un dévoiement de la « Mémoire ». C’est
une façon de dénier le droit d’exister au peuple
juif au nom de la Shoah. C’est ce sanctuaire de la Shoah que
la FMS veut défendre : aux dépens des intérêts
et des valeurs des Juifs vivants.
En monde musulman, c’est pour mieux dénier le peuple
juif que la Shoah est niée sous la forme du syllogisme suivant:
1) Le peuple juif n’existe pas
2) S’il existe (l’État d’Israël), c’est
un mensonge (la Shoah)
3) L’État d’Israël ne peut exister que sur
la base de ce mensonge et de la culpabilité de l’Occident
qui a cédé à ce chantage.
Obtenir
d’une institution juive qu’elle accepte la dissociation
de la Shoah de la question cruciale pour la survie des Juifs que constitue
aujourd’hui l’existence de l’État d’Israël
est un atout considérable dans la lutte contre Israël.
Elle rejoint toutes les déclarations arabes sur l’inexistence
d’un peuple juif (5). Elle les absout des menaces proférées
sur l’existence d’Israël. A ce compte, l’O.C.I.
peut bien « reconnaître » la « mémoire
de la Shoah »... Le bénéfice politico-symbolique
est immense dans l’optique de ses objectifs. D’autant
plus qu’elle entraîne un bénéfice secondaire
: la condamnation de l’Europe (« colonialiste »)
coupable, ce qui ne fait que rehausser l’excellence du monde
islamique. Les stigmatisations de l’Europe coupable d’antisémitisme
abondent de fait sur le site d’Aladin (cf. infra : l’étude
de textes)
Quelle
reconnaissance recherche la FMS ?
Quel
type de reconnaissance de la Shoah, la FMS espère-t-elle ?
En s’alliant à l’OCI et en plaçant donc
son entreprise sous l’égide de « l’Alliance
des civilisations », elle a choisi de ranger implicitement la
Shoah dans le cadre du « patrimoine immatériel »
de l’humanité où l’OCI a déjà
placé la religion musulmane (« Convention pour la sauvegarde
du patrimoine immatériel » adoptée par l’UNESCO
en 2003 dans la lignée des Déclarations et Conventions
sur la diversité culturelle (6). On retrouve toujours à
ce propos la marque de Jacques Chirac qui a prétendu faire
passer cette convention au nom de la défense de la francophonie
contre la culture américaine mais qui n’a été
adoptée que grâce au soutien des membres de l'OCI. La
Shoah devient ainsi un élément de la Convention sur
la diversité culturelle, ce qui revient à dire que la
FMS a enfermé l’identité et toute la culture juives
dans la mémoire de la Shoa, ce qui a de graves conséquences
sur le plan de la compréhension de l’identité
juive. En somme, la FMS a échangé la sacralisation de
la Shoah contre la sanctuarisation de l’islam.
Il
faut faire un peu d’histoire pour replacer cette démarche
dans le paysage global et mieux comprendre ses tenants et aboutissants.
La meilleure spécialiste en la matière, Malka Marcovich,
nous renseigne à ce propos (7). « Lors de Durban I,
l’inclusion de la mémoire de l’Holocauste a fait
l’objet d’un troc entre l’Union Européenne
et l’OCI, soit la mention de l’Holocauste en échange
de la désignation particulière des Palestiniens comme
victimes du racisme israélien... » « La mémoire
de l’holocauste » (8) fut aussi reconnue pour mieux mettre
en avant le caractère occidental d’un crime perpétré
contre les Juifs. C’est ce que confirment alors « les déclarations
finales (où sont émises des réserves au moment
de l’adoption du texte), il apparait que l’inclusion de
l’Holocauste sert à la condamnation des Européens
plus qu’à la « reconnaissance » des Juifs.
« La République islamique d’Iran a souligné
que la mémoire de l’« holocauste » visait ici
« l’holocauste des juifs » par les « Européens
». La Syrie est allée dans le même sens et a déclaré
que c’était une « erreur » de la part «
des Européens de vouloir faire partager leur culpabilité
au monde » en donnant à l’Holocauste un caractère
général. Le Qatar au nom de l’OCI a également
souligné que les « pays extérieurs à l’Europe
» ne pouvaient être « tenus responsables ».
De même, les Émirats arabes unis (au nom également
de l’Arabie saoudite, de Bahreïn, du Koweït, d’Oman
et du Qatar) ont souligné le caractère européen
de cette mémoire, et ont tenu à indiquer que « ce
concept ne s’applique pas exclusivement à un peuple ou
à un groupe particulier, comme l’illustrent clairement
les pratiques racistes observées quotidiennement dans les territoires
arabes occupés. »
L’inclusion
de l’antisémitisme à Durban I soulevait le même
type de problèmes. Il fut lié dans le même paragraphe
à « l’islamophobie », réduisant la
définition des attaques à l’encontre des Juifs,
comme relevant uniquement de comportements contre la religion juive
(puisque dans l’islamophobie il est question d’islam,
de religion). Ainsi, est mis en œuvre le déni de la dimension
politico-historique de la Shoah et sa transformation en réalité
religieuse, ce qui conforte tout à fait le monde arabo-islamique
pour dissocier la Shoah de sa signification politique centrale. Cependant,
tout comme la mention de l’Holocauste, l’inclusion de
l’antisémitisme a soulevé des réserves
de la part de la République islamique d’Iran, qui a indiqué
que ce terme devait « s’appliquer aux Arabes et aux Juifs
», l’OCI soulignant pour sa part (sans même mentionner
les Juifs) que « les Arabes constituent la majorité écrasante
des Sémites ». Comme avec l’Holocauste, la «
reconnaissance » des Juifs aboutit aux Palestiniens et à
l’islam (9). En effet, les Juifs pourraient bien être
traités d’« antisémites » s’ils
étaient « islamophobes »... C’est bien ce
tour de passe passe qui est sans cesse rejoué à la commission
des droits de l’homme de l’ONU.
LA
FAUTE MORALE
Une conscience
juive a du mal à accuser le coup de l’indignité
morale dont a fait preuve la FMS. En effet, le troc symbolique concernant
Israël s’est doublé d’un autre troc concernant
la mémoire des sépharades, bradée à bas
prix pour obtenir une reconnaissance de la mémoire de la Shoa.
La FMS s’est sentie en effet obligée de réécrire
leur histoire pour fonder son entreprise. La lecture du site d’Aladin
fournit un exemple rare d’historiographie où l’amateurisme
le dispute à la complaisance.
On peut
déjà se demander ce qui autorise la FMS à parler
au nom du monde sépharade, à la mémoire duquel
elle ne s’est jamais intéressée et pour la représentation
duquel elle n’a aucun mandat légal, ni aucune légitimité.
Ce que l’on pressent de mépris ethnique derrière
cette façade de « bonne volonté » est accablant.
« L’Appel à la conscience » déclare
: « C’est une grave offense que de réécrire
l’histoire pour des motifs politiques » ». On ne
peut pas mieux dire ! Mais charité bien ordonnée commence
par soi-même.
Cette institution est sortie du champ de ses attributions en instrumentalisant
l’histoire des communautés juives originaires du monde
arabo-musulman. Le récit historique des rapports judéo-arabes
qu’elle propose, sur le site d’Aladin, fait bon marché
de leur mémoire en évacuant l’essentiel du contentieux
politique, historique et moral qui obère le rapport des Juifs
et des musulmans aujourd’hui et qui est avant tout leur contentieux,
à eux qui sont originaires de ces pays-là.
Le
livre collectif, La fin du judaïsme en terres d’islam
(Denoël), que je viens de publier sous ma direction tombe à
point nommé. Il fait le clair sur cette histoire contemporaine
», à laquelle j’avais déjà consacré
2 numéros de la revue Pardès (10). Il existe très
peu d’ouvrages sur ce sujet car l’historiographie de ce
drame concernant un million de personnes est un tabou, y compris en
Israël. Un jour l’histoire de cette occultation sera aussi
écrite. La FMS ne peut invoquer l’innocence et l’ignorance,
en la matière. C’est un choix politique et moral qu’elle
a fait en toute connaissance de cause de minoriser (par mépris
?) les témoignages et les faits de cette histoire pour «
arrondir les angles ».
Bien
avant la question du sionisme et de l’État d’Israël,
c’est le statut des Juifs en islam qui est en effet en question
dans le monde arabo-musulman. A-t-on remarqué qu’il n’y
avait quasiment plus de communautés juives dans ces pays depuis
les années 1970 ? Les faits historiques d’avant l’ère
coloniale témoignent de ce que le statut des non musulmans,
les dhimmis, n’engendrait pas seulement la condition
de nation dominée, ségréguée, mais aussi
et surtout un régime de vexations et d’avilissement,
de tracasseries permanentes. L’OCI n’y a pas renoncé
car dans la « Déclaration des droits de l’homme
en islam », qu’elle a édictée (1990), il
est statué que ces droits ne sont valides que s’ils sont
en conformité avec la Sharia. Qui ne reconnait pas l’égalité,
des Juifs, des chrétiens et des femmes.
Le scandale
que représente la création d’Israël pour
ce monde-là, c’est avant tout l’auto-détermination
d’une nation (dhimmie) dominée. L’histoire tragique
des Arméniens en quête d’indépendance en
fut le premier acte. La disparition progressive des Arabes chrétiens
dans ces pays aujourd’hui en est l’acte final. Au sortir
de la période coloniale, qui fut pour ces nations dominées,
on le comprend, une libération, les Juifs étaient en
passe de redevenir des dhimmis. Le nationalisme y avait engendré
un antisémitisme qui n’avait rien à envier à
ses homologues européens et qui puisait dans un fonds islamique
dont des livres entiers peuvent témoigner. De puissantes vagues
antisémites ont conduit soit à leur expulsion, encadrée
par un véritable « statut des Juifs » (Égypte,
Lybie, Irak, Syrie), soit à leur exclusion de tous les domaines
de la société, en fonction de processus sournois, et
la plupart du temps d’une violence pogromique servant d’avertissement.
Il n’y avait pas de place pour les Juifs dans les nouveaux États
nations qui, très vite, adoptèrent le Coran comme loi
constitutionnelle.
Tel
est le B.A-BA du contentieux judéo-musulman, du Maroc à
l’Iran. Il ne commence pas avec le sionisme et à cause
de l’État d’Israël mais bien avant la période
coloniale. Tous les documents historiques sont là pour en témoigner.
La FMS a prétendu le clore pour solde de tous comptes.
LE NÉGATIONNISME DE L’HISTOIRE DU MONDE SÉPHARADE
PAR LES TEXTES
Le modèle
rhétorique de la FMS est facile à reconstituer à
partir du discours qui nourrit le site Aladin. Il est intéressant
d’y glaner des citations pour comprendre la stratégie
idéologique qui est à l’œuvre. C’est
le banc d’essai d’une réécriture négationniste
de l’histoire.
La complaisance
est son principe général. Il s’agit de flatter
la partie islamique, ce qui se fait toujours, très systématiquement,
aux dépens du christianisme et de l’Europe, présentés
sous la forme d’une comparaison négative, de façon
à faire croire à une plus grande complicité,
une plus grande proximité des Juifs et des Arabo-musulmans.
Cette complaisance ne fait que conforter un univers ethnocentrique
qui méconnait avec suffisance le destin de ceux qui y étaient
différents et elle favorise l’anti-occidentalisme.
Quand
une mention est défavorable aux Arabes et à l’islam
elle se voit toujours immédiatement équilibrée
par une affirmation positive, de façon à annuler l’effet
négatif, comme pour excuser et amoindrir la responsabilité.
La comparaison avec la culpabilité de l’Europe joue à
ce moment-là comme l’argument massue.
Aladin
reproduit le modèle de l’idéologie dominante contemporaine
qui récuse l’idée que deux « camps »
s’opposeraient sur la scène internationale. Le concept
de « camp » est inhérent à l’idéologie
du « dialogue ». Il a pour origine le concept d’origine
soviétique de « camp de la paix ». Il y a en effet
toujours des « camps » mais la frontière passe
dans chaque camp. En fait, elle passe surtout à travers le
camp occidental (et bien sûr, juif) car le camp de l’OCI
reste très compact, lui. La volonté de paix et de dialogue
se traduit ainsi immédiatement par une guerre de l’Occident
contre son propre « camp »: « Tout en ne cherchant
pas à examiner les causes et les effets du conflit politique
au Moyen-Orient ni ce qui est juste ou ne l'est pas, on voit que la
nature de plus en plus religieuse d'une lutte territoriale a été
le fait de différentes mouvances. Elles présentent ce
conflit comme un clash de civilisations entre le monde musulman et
la société occidentale. Des extrémistes présentent
l'adversaire comme étant dénué de tout caractère
moral et sans légitimité religieuse, les juifs et Israël
étant présentés comme une « tête
de pont » hostile établie dans le monde arabe en particulier
et le monde musulman en général. La vérité,
cependant, est que ce à quoi nous assistons n'est pas un clash
de civilisations mais plutôt un clash à l'intérieur
de civilisations. C'est un conflit entre divers éléments
au sein d'une même culture religieuse. Entre ceux qui
ont le sentiment d'avoir subi insultes et humiliations sur le plan
historique, ce qui a provoqué leur aliénation, et d'autres
éléments au sein de leur propre société
ainsi qu'avec ceux qui sont extérieurs à leur culture
religieuse. Le conflit interne est avec ceux qui cherchent
à avoir des contacts constructifs avec d'autres sociétés
dans le cadre d'une culture mondiale et d'une interaction positive
avec la modernité. Ce clash « à l'intérieur
même de civilisations, » signifie que des voix éclairées
des deux côtés ont pour responsabilité de travailler
ensemble non seulement pour devenir plus grandes que la somme de leurs
différentes parties mais aussi pour apporter ce témoignage
alternatif essentiel, à savoir celui de la coopération
inter-religieuse et interculturelle ainsi que celui du respect mutuel.
Plus particulièrement, les dirigeants musulmans et juifs doivent
à leurs communautés et aux traditions de leur foi de
réfuter toute exploitation destructrice de leur civilisation
religieuse respective en tirant leur inspiration des exemples
de la coopération et de la collaboration glorieuses du passé
des enfants d'Abraham, musulmans, chrétiens et juifs,
au profit de tous. »
La description
de la dhimma, condition d’avilissement et de déchéance
des Juifs est donc naturellement l’objet d’un déni.
Le discours qui en rend compte témoigne d’une insensibilité
de plomb à ce que fut la condition des Juifs en islam. Ainsi,
Juifs et chrétiens « ont toujours joui d'une plus
grande protection (équilibre comparatif)
que celle dont bénéficiaient les païens.
Pendant des siècles, le statut de la dhimma a été
appliqué à (sic) juifs et chrétiens
dans le monde musulman. Ce qui signifie qu'en contrepartie
d'un paiement d'impôts supplémentaires des droits limités
leur étaient accordés. » On fait équilibre
à la dhimma en la comparant au statut des « païens
». Appliqué ? Imposé par la coercition !
Quand
des exactions ont été commises, le « mais »
arrive toujours très vite « Mais, en
dépit de leur statut de dhimmi, les juifs étaient libres
de pratiquer leur religion et ils vivaient mieux sous administration
musulmane que sous administration des chrétiens byzantins.
» Ce qui est une contre-vérité car le statut du
dhimmi est un statut politique qui enferme les populations non musulmanes
dans la religion, c’est à dire l’islam.
«
En règle générale, les communautés juives
qui étaient restées dans le monde musulman étaient
protégées selon les termes du Pacte
d'Umar. Et, si elles acceptaient leur statut de citoyens de
seconde classe, elles vivaient paisiblement et en bonne intelligence
avec leurs voisins musulmans. » On croit rêver et on se
demande qu’elle est la conscience juive et le sentiment de dignité
des gens qui font la FMS...
Le «
miracle d’Al Andalous » est présenté comme
si il avait été un phénomène suis generis
et non le résultat d’une invasion et d’une conquête
cruelle de djihad. Andalous était une terre où Juifs
et chrétiens étaient des dhimmis, où il y eut
des vagues d’antisémitisme théologique, de grands
pogroms, etc.
La fin
d’Andalous est présentée comme une menace venant
d’un islam extérieur, de surcroît, justifiée
par une menace chrétienne ! « Il y eut un revers de cette
société relativement ouverte d'al-Andalus, puis sa fin,
lorsque des armées sont venues d'Afrique du Nord pour aider
à la défendre contre les chrétiens espagnols
qui repoussaient les musulmans dans le nord, les chassant de leurs
bastions. Les juifs subirent des restrictions sévères
sous les régimes berbères islamistes et finirent par
se déplacer vers le nord pour aller dans des régions
conquises (sic) par les chrétiens et où,
pour l'heure, ils étaient mieux traités. » C’est
ahurissant, ces armées venues d’Afrique du Nord étaient
les mêmes que celles qui avaient envahi l’Espagne. Par
contre la Reconquista est présentée comme une conquête
qui menace l’Andalousie...
Un
peu plus tard, « la société islamique commença
à faire place à une mentalité plus féodale,
à la fois rigide et autoritaire. De nombreuses communautés
juives durent (sic) s'installer dans des ghettos (qu’en
de beaux mots ces choses-là sont dites !) et ici ou là
(sic) des communautés juives et chrétiennes furent détruites.
« Ici ou là » ? Toutes les communautés d’Afrique
du Nord furent exterminées ! Faut-il parler de négationnisme
?
Les
perles sur la dhimma s’enfilent, je les cite non exhaustivement
:
-« le grand (sic, sic, sic) conquérant
Omar Ibn Al-Khattab, calife qui spécifia les conditions
d'octroi de ce statut aux protégés dans ce qu'on appelle
le « pacte d'Omar ». Grâce au pacte, les « Gens
du Livre » étaient autorisés à s'installer
et à posséder des biens, à exercer librement leur
culte, à entreprendre et à circuler. La soumission
des « dhimmi » se traduisait surtout par le paiement d'une
taxe de capitation (djizya) et des conditions de vie inférieures
». Merci pour l’autorisation ! Ils étaient là
avant l’invasion arabe qui les déposséda de leurs
biens et de leurs propriétés.
-«
La situation sociale des Juifs découlait de leur statut juridique,
de leur activité économique et de la tradition religieuse
de leurs voisins. La masse des musulmans manifestait mépris
à l'égard des dhimmi et des étrangers quels qu'ils
soient, mais cette situation n'empêchait pas
l'existence de bonnes relations de travail et parfois même de
liens d'amitié. » « Découlait » ?
Où est la responsabilité politique ?
-«
Les Juifs n'ayant pas d'existence politique indépendante et
ne constituant pas une nation contrôlant un territoire défini,
bénéficiaient d'une présomption
de loyauté envers les autorités, qui les traitaient
bien, collectivement et individuellement. » Haïs par les
masses, ils étaient les serviteurs obligés des potentats
qui, parfois les livraient à la foule. Le chef de la nation
juive était très souvent exécuté.
-« L'adoption de l'arabe par les Juifs introduisit non seulement
un nouveau vocabulaire ; mais aussi un mode de pensée entièrement
neuf, permettant aux Juifs des pays musulmans de participer à
la culture dominante et de l'intégrer comme ils n'avaient
jamais pu le faire dans l'Europe chrétienne ».
Ce qui est un mensonge si on oppose à cela l’exemple
de la Pologne où les Juifs connurent une grande époque
et une sorte d’État sur un grand territoire, le «
Conseil des Quatre Pays ».
- «
Au milieu du VIIe siècle, l'État perse devint une province
de l'empire arabo-musulman. La conquête arabe substitua une
religion d'État à une autre, mais pour les Juifs,
c'était un progrès. Ils bénéficiaient,
comme ailleurs sous la loi de l'islam, d'un statut inférieur
mais protégé. Protégé contre
qui ?
-«
Cependant, la constitution de 1979 reconnut
les Juifs comme une minorité religieuse et leur accorda
un siège réservé au Parlement ». Or, c’est
exactement l’application de la condition de dhimmi.
-«
Les autorités ottomanes n'avaient pas posé de restrictions
sur les activités professionnelles des minorités religieuses,
la seule limite était l'enrôlement dans l'armée
ou l'entrée dans les rouages du pouvoir et de l'administration.
Les dhimmi jouissaient donc d'une totale liberté dans
ce cadre ». Liberté ?
- «
L'Islam maintint le statut juridique et communautaire des
Juifs ainsi que leurs conditions de sécurité et, malgré
les affrontements entre des tribus juives et l'armée du prophète
Mahomet, le Coran reconnut le judaïsme. » La réécriture
tire de la farce ici. Il y a eu une vie juive florissante en Arabie
avant l’islam. Les tribus juives furent, à ce que rapporte
le Coran, exterminées, converties ou chassées. On décréta
qu’il ne pouvait y avoir 2 religions dans la péninsule
arabique. Remarquons au passage l’équilibre établi
avec la violence des tribus juives ! Ah, ces sépharades !
-«
Les Juifs soutinrent la conquête de l'Irak par les musulmans.
Sous la domination des califes de Bagdad, ils payaient une
taxe individuelle, qui leur assurait la liberté religieuse
et communautaire. » Encore une version scandaleuse
de la dhimma !
-«
Sous le gouvernement des Jeunes-Turcs (1908), qui menèrent
une politique d'unification, ils servirent dans l'armée, obligatoire
pour tous. Ils combattaient dans les unités turques pendant
la Première Guerre Mondiale ou y furent médecins ou
traducteurs. »Occultation totale de la persécution dont
les Juifs furent victimes dans cette armée (cf l’article
sur la Turquie dans le livre La fin du judaïsme en Terres
d’islam) !
-«
Quand Saddam Hussein accéda au pouvoir en 1979, il restait
moins de 400 Juifs en Irak. La communauté juive vécut
donc sous surveillance constante. Toutefois, il semble que l'attitude
de Saddam Hussein envers les Juifs irakiens ait été
moins excessive qu'on pourrait le croire ». En somme
vive la tyrannie de Saddam !
-«
Pendant la période ottomane, les Juifs d'Algérie étaient
strictement soumis au statut de «dhimmi». Il faut toutefois
noter une grande diversité d'application de
ces règles dans l'espace et dans le temps. Des relations
de bon voisinage voire d'amitié purent se nouer, notamment
à l'occasion de la célébration des fêtes
juives. » On est confondu par tant de mièvrerie.
L’auteur semble méconnaître que les Juifs qui échappaient
à la condition de dhimmi devaient acheter la protection de
consulats européens qui leur conférait leur citoyenneté
sur le plan juridique, en vertu d’un accord des puissances européennes
avec la Sublime Porte.
-«
Comme les autres Juifs des pays islamiques, ceux d'Ifriqiya (nom pris
par l'actuelle Tunisie) acquièrent le statut de dhimmi.
En réponse à cette nouvelle situation, les Juifs
choisirent de s'insérer économiquement, culturellement
et linguistiquement dans la société tout en conservant
des particularités, notamment culturelles et religieuses. »
Acquérir ? c’est un statut imposé, non pas d’insertion
mais de ségrégation !
-«
Certains Juifs marocains se réjouirent de cette mainmise coloniale,
espérant que la fin du statut de dhimmi signifierait pour eux
l'obtention de celui de citoyens français, comme pour les Juifs
algériens en 1870. Mais ils furent déçus... Entre
la création de l'État d'Israël en 1948 et l'indépendance
du Maroc en 1956, 90% des Marocains juifs émigrèrent.
Les plus pauvres partirent en Israël, où
ils constituèrent une part importante du prolétariat
et de la population des "villes de développement",
tandis que l'élite et la classe moyenne émigrèrent
au Canada et en France. Les Marocains juifs étaient
des citoyens à part entière, électeurs
et éligibles. L'État marocain leur avait établi
un espace juridique conforme aux préceptes du judaïsme.
Sur le plan du statut personnel, ils furent régis par la loi
mosaïque, ce qui signifiait qu'ils étaient justiciables
des chambres rabbiniques près des tribunaux réguliers
pour tout ce qui touchait au mariage, à l'héritage et
au droit des mineurs. » Ici ce sont les stéréotypes
les plus éculés qui sont repris. Quant à la citoyenneté
à part entière, c’est une vision négligente
car les Juifs sont toujours des dhimmis au Maroc, hors du droit commun
dans un pays qui ne sait pas ce qu’est la citoyenneté
démocratique parce que l’islam y est religion d’État.
- «
En 1882, un groupe de 150 Juifs partirent du Yémen
et entreprirent un voyage harassant de 9 mois, qui les mènera
à Jérusalem. En 1922, Le gouvernement yéménite
réintroduisit une ancienne loi islamique laquelle contraignit
les orphelins juifs de moins de 12 ans à être convertis
à l'Islam. » Et ainsi l’on passe très vite
sur l’extraordinaire souffrance des Juifs yéménites...
-«
En 1947, le vote de l'ONU sur le partage de la Palestine eut
des conséquences dans tout le monde arabe. Au Yémen,
des émeutiers musulmans s'en prirent aux Juifs, en tuant 82
à Aden, détruisant des centaines de maisons juives.
En 1949, quelques semaines après la fin de la guerre et à
l'issue de la création de l'Etat d'Israël, la totalité
de la communauté du Yémen, soit 49000 Juifs, arriva
en Israël. » Les conséquences de quoi ? Du vote
ou du refus du monde arabe ?
-«
L'orthodoxie rigide de Saladin (1169-1193) ne sembla pas avoir affecté
les Juifs de son royaume. En 1166, Maïmonide se rendit
en Égypte et s'installa à Fostat ». Se
rendit ? Il dût fuir les persécutions qui gagnaient la
merveilleuse Andalous !
-«
Sous la dynastie mamelouke des Baharites (1250-1390), les Juifs
menèrent une existence relativement paisible, bien qu'ils soient
obligés de payer de lourdes taxes pour l'entretien
des équipements militaires, et qu'ils soient harcelés
par les cadis et les oulémas de ces musulmans rigoureux
». A nouveau le même négationnisme sur la condition
de la dhimma.
-«
La venue au pouvoir d'Hitler en 1933, bouleversa cet équilibre
entre Juifs et Égyptiens, Hitler et la propagande
antijuive nazie gagnèrent du terrain parmi la communauté
allemande en Égypte, ce qui suscita la formation d'associations
juives luttant contre l'antisémitisme ». C’est
une farce ? L’auteur fait abstraction de tout le processus de
dénationalisation des Juifs égyptiens par le biais d’un
véritable Statut des Juifs.
-«
Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, la communauté
manifestait peu ou pas d'intérêt pour le sionisme. Significative
à cet égard fut sa réponse aux violentes manifestations
antijuives du 2 novembre 1945 (anniversaire de la déclaration
Balfour en faveur de la création d'un foyer national juif en
Palestine). Aux émeutes accompagnées de l'incendie de
synagogues et du pillage de magasins juifs au Caire, le grand rabbin
de l'époque réagit, dans une lettre au Premier ministre
d'Égypte, en se dissociant de la revendication d'un
État juif en Palestine. ». En somme les réactions
sous la menace pour sauver sa peau sont tenues pour des positions
de principe !
-«
Al-Husseini et les troupes musulmanes qui combattirent aux
côtés de la Wehrmacht n'étaient pas représentatives
de ce que ressentait l'ensemble des musulmans lors de la deuxième
guerre mondiale. En effet, des centaines de soldats musulmans
venus d'Afrique, des Indes et d'Union Soviétique contribuèrent
à vaincre le fascisme en se battant à El Alamein, Monte
Cassino, sur les plages de Provence ou à Stalingrad. Il y eut
également des cas de musulmans qui firent preuve d'un grand
courage et se sacrifièrent en risquant leur propre vie pour
sauver des juifs des mains des nazis. » C’est des mouvements
nationalistes qu’il est question qui, tous fleuretèrent
avec le nazisme. Al Husseini compte parmi les plus grands leaders
du nationalisme arabe, le fondateur du nationalisme palestinien, celui
qui conféra un statut religieux à l’antisionisme.
L’opinion arabo-musulmane dans sa grande majorité soutenait
les puissances de l’axe, ennemies des pouvoirs coloniaux.
-«
Les conditions de vie des juifs dans plusieurs pays musulmans commencèrent
à se détériorer au XIXème siècle
avec le déclin du pouvoir ottoman et la montée de la
ferveur nationaliste et du radicalisme religieux en réaction
à l'influence grandissante des pouvoirs coloniaux européens.
C'est à cette époque qu'apparurent les premiers stéréotypes
antisémites dans le monde musulman. » La haine des Juifs
vient toujours de l’Occident de surcroît colonial qui
vient sans doute briser l’idylle judéo-arabe...
****
On
se demande en vertu de quelle autorité, la FMS réécrit
l’histoire. La reconnaissance de la Shoah qu’elle escompte
manquera inéluctablement son objet mais autorisera le ressentiment
politique envers Israël, dont l’histoire des Juifs en monde
musulman est la clef et non la mémoire de la Shoah. Elle approfondira
son mépris paternaliste pour le monde sépharade. La FMS
dépolitise le contentieux judéo-musulman au profit d’une
sanctuarisation de la Shoah dont la moindre des conséquences
n’est pas d’assigner l’existence juive à un
passé muséographique. Par contre, cette dépolitisation
a des conséquences éminemment politiques. Le problème
avec le monde arabo-musulman, n’est pas la Shoah mais le peuple
juif vivant, sujet de l’histoire.
Notes
1
- Cf. le dossier capital publié par la revue Controverses, téléchargeable
à l’adresse : http://www.controverses.fr/Sommaires/sommaire9.htm
2 - Cf. idem, l’article de Ruth Attias Toledano
et mon texte sur le mythe de l’Age d’or à ce sujet.
3 - Biblio-Essais, Le Livre de Poche-Hachette, 2005
4 - C’est une autre paire de manches car l’opinion
arabo-musulmane joue en Europe sur un terrain déjà favorable
où la Shoah est restée de l’ordre de l’impensé
et de l’impensable du fait de structures mentales et morphologiques
liées à la modernité politique, qui rendent aveugle
à sa réalité et favorisent au contraire sa sacralisation.
Cf mon livre L’idéal démocratique à l’épreuve
de la Shoah, (Odile Jacob, 1999).
5 - Cf. Shmuel Trigano, « Le refus palestinien
d’un Etat juif », Controverses n° 7, 2008 : http://www.controverses.fr/pdf/n7/trigano7.pdf
6 - Ce que confirme la déclaration aberrante
et hors de propos (s’agissant de la Shoah) du directeur général
de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, intervenant en premier, qui
a émis le vœu que l’interculturalité et la
diversité permettront une mémoire vivante de l’Holocauste
dans un rapport apaisé entre civilisations en promouvant un message
universel de tolérance pour les générations futures.
7 - Cf. son blog de février 2009 : http://storage.canalblog.com/89/82/412709/37001881.doc
et son livre Les nations désunies : comment l’ONU enterre
les droits de l’homme, Éditions Jacob-Duvernet.
8 - Qui depuis 2005 fait l’objet d’une
commémoration annuelle à l’Assemblée Générale
de l’ONU.
9 - Le président du Sénégal et
président de l’Organisation de la Conférence Islamique,
Abdoulaye Wade, lors de l’inauguration, a considéré
que la Shoah est un affront à l’humanité et attaqué
avec virulence le révisionnisme établissant au passage
un parallèle avec celui qui concerne l’esclavage et la
colonisation. De la Palestine ?
10 - En co-direction avec Hélène Trigano,
« La mémoire sépharade », Pardès, In
Press, 2000 et sous ma direction,
« L’exclusion des Juifs des pays arabes », Pardès,
In Press, 2003.
Un
scandale qui tombe à pic
par
Shmuel Trigano 12 février 2009
Nous
avons pu assister, en ce début février 2009, à
un phénomène idéologique étonnant. Les médias
sont passés sans transition d’une violente hostilité
envers Israël à un concours de vertu pour condamner la réhabilitation
par le pape d’un évêque intégriste osant nier
la réalité de la Shoa. Comme s’il n’y avait
aucune contradiction entre la peinture judéophobique d’un
Israël stigmatisé pour sa cruauté supposée
envers les enfants et les civils et l’indignation que l’on
puisse prétendre que les Juifs n’ont pas été
victimes des nazis. L’accusation du meurtre rituel commis sur
des enfants est un classique de l’antisémitisme.
C’est
la deuxième occurrence d’un tel phénomène.
Au terme de la deuxième Intifada, à l’occasion du
60 ème anniversaire de « la libération d’Auschwitz
» (1), nous avions vu tout un continent, l’Europe, passer
d’une violence symbolique, inédite depuis les années
1930, envers Israël et les communautés juives, à
l’exaltation de la mémoire de la Shoa .
Ces
manifestations paradoxales ne sont pas contradictoires. Elles sont au
contraire l’illustration même de la nouvelle judéophobie
ou, si l’on veut, du « nouvel antisémitisme »
(2). Elles fonctionnent en effet de concert, l’une soutenant et
compensant l’autre. L’exaltation de la mémoire de
la Shoa vient authentifier la moralité et la pureté de
l’accusation disproportionnée d’Israël que j’ai
analysée dans mon précédent blog (3). C’est
ce qui explique pourquoi il est impérieux pour cette idéologie
que cette mémoire soit sacralisée et défendue scrupuleusement
contre ses négateurs. Elle exalte un peuple mort pour mieux accabler
un peuple vivant.
Car
ce qui est en question de façon implicite dans cette posture
c’est le destin et la condition des Juifs comme peuple. La Shoa
les a détruits en masse et ils y ont connu un destin collectif
qui tranchait sur leur condition de citoyens individuels. Ce que symbolise
Israël pour tous les Juifs du monde et aux yeux du monde, c’est
la résurgence positive et affirmative d’un destin collectif
juif, politique et non pas mémoriel. C’est là que
se situe l’enjeu de l’hostilité, unique au monde,
envers Israël aujourd’hui. On dénie aux Juifs la légitimité
de leurs attributs de peuple souverain dans l’État d’Israël
au nom de la célébration d’un peuple mort dans les
camps.
L’exaltation de la mémoire est devenue un élément
capital pour éviter que l’hostilité disproportionnée
envers Israël ne soit tenue pour antisémite. Les critiques
virulentes envers l’extrême droite, le négationnisme,
etc, quand elles sont couplées avec l’hostilité
envers Israël ont pour finalité systémique d’assurer
cette défense (4).
J’analyse
ici un phénomène idéologique, c’est-à-dire
un processus dont les acteurs sociaux qui en sont parties prenantes
sont totalement inconscients et qu’ils ne maîtrisent pas,
voire qu’ils dénieraient avec vigueur si il leur était
dévoilé. Le partage des domaines auquel ils se livrent
généralement pour se justifier vise à brouiller
les pistes : la critique d’Israël serait la critique de la
politique d’un gouvernement et n’aurait rien à voir
avec les Juifs ou la Shoa. C’est un argument dilatoire car cette
critique est à nulle autre pareille pour aucun autre État
dans le monde, et déjà, en l’occurrence, pour un
mouvement de type fasciste comme le Hamas. Elle falsifie les données
de la situation et néglige tout un ensemble d’aspects quand
elle ne manipule pas le récit des événements de
toutes sortes de façons qu’il est possible de démontrer
et prouver par A+B. Ce qui est en jeu, c’est la légitimité
de l’existence d’un peuple juif, qui implique celle de se
défendre contre un ennemi invétéré.
La
logique que je tente ici de porter au jour n’a elle même
rien à voir avec le fait qui est à l’origine du
scandale qui nous préoccupe, à savoir la déclaration
négationniste de l’evêque intégriste ou la
réaction des chrétiens, si ce n’est à un
second degré si l’on se souvient que le symbole de la Shoa,
tel qu’il est en usage aujourd’hui, désigne, dans
la novlangue du politiquement correct, le peuple juif (assigné
en l’occurrence à un destin de victime). Or, cette question
du peuple, de la continuité de l’«Israël selon
la chair » (le peuple juif) malgré l’avènement
de « l’Israël selon l’esprit » (5) (le
peuple chrétien) a joué un grand rôle dans l’antijudaïsme
de l’Église. En tenant ces propos, l’évêque
intégriste était conséquent avec son choix théologique.
Si l’Église l’entérine, c’est la même
régression qui est signifiée, alors que Vatican II avait
proclamé l’intention de modifier cette donne originelle
du christianisme. Le négationnisme iranien s’inscrit également
dans cette perspective. Ahmadinejad a très bien compris le système
symbolique de l’Occident contemporain : en niant la Shoa, il veut
dire qu’il n’y a pas de peuple juif et c’est pour
lui la meilleure façon de saper la légitimité d’un
État d’Israël, l’expression la plus forte aujourd’hui
d’un peuple juif. Quand le site de la conférence de sécurité
de Munich réécrit le discours du président de l’assemblée
nationale iranienne en en supprimant le passage sur la Shoa, c’est
aussi dans cet esprit-là.
Ajoutons
une autre dimension comparative qui met mieux en valeur la réalité
du phénomène que nous analysons. Que pèse la moralité
de la réprobation universelle du pape comparée au silence
total sur les discours du plus pur antisémitisme proférés
chaque jour dans le monde arabo-islamique ? On n’en fait même
pas mention au point que le citoyen lambda ne sait même pas qu’ils
existent, et avec quelle puissance ! Qui s’est scandalisé
de ce que les autorités de l’islam français n’aient
pas prononcé la moindre condamnation des actes antisémites
qui se sont produits en France dans la suite de manifestations meurtrières
dans lesquelles la communauté musulmane a été absolument
majoritaire ? Pas même les institutions juives promptes pourtant
à condamner le Vatican. Qui s’est scandalisé du
communautarisme virulent qui s’est manifesté alors ? Pire,
qui s’est intéressé et scandalisé en France
du retrait unilatéral des musulmans du « dialogue judéo-musulman
» ? C’est à peine si la nouvelle fut mentionnée.
C’est l’indice que l’on a jugé qu’elle
était justifiée et compréhensible. Mais sur le
pape, on peut tirer à boulets rouges ! On ne craint rien ! Indépendamment
de la critique que l’on peut faire de la décision théologico-politique
du pape, on constate ici la propension de l’Occident à
se retourner contre lui même plutôt que contre l’islamisme.
Il
est attristant de constater que les institutions juives s’inscrivent
dans ce jeu symbolique et accréditent l’idée que
la mémoire de la Shoa, dans l’usage que nous avons analysé,
constitue effectivement l’unique priorité du peuple juif
au moment même où c’est la légitimité
de son existence qui est en jeu. La défaite en rase campagne
de leur politique qu’elles ont subie ces dernières semaines
avec le retrait unilatéral des musulmans du « dialogue
judéo-musulman » n’est que le premier signe de leur
déclin. On les retrouve, le 11 février 2009, dans la dénonciation
avec le CFCM des propos de Le Pen à Marseille. En dehors du caractère
effectivement raciste de ces propos, il faut souligner que cette condamnation,
elle aussi, « ne mange pas de pain ». Elle s’insère
dans le politiquement correct et la confusion des choses. Nous n’avons
jamais entendu le CRIF rappeler à l’ordre le CFCM pour
n’avoir pas condamné les manifestations antisémites
et les désécrations de synagogues récentes. Par
contre ses déclarations sur le pape ont été très
relayées.
La
critique du pape joue ainsi un rôle idéologique bien précis
: elle retourne contre soi une critique qui aurait dû concerner
les autorités silencieuses ou vociférantes de l’islam,
tout comme la critique d’Israël retourne contre Israël
la critique que le Hamas et l’islamisme méritent. Plus
l’occultation du réel est épaisse, plus l’excès
de la critique envers Israël est abusif et constitue le vrai scandale
moral. Au fond la critique unilatérale d’Israël participe
de ce même syndrome d’autodestruction de l’Occident.
Morale, que de bassesses commet-on en ton nom !
© Shmuel Trigano
Notes
(1) En fait libéré
dans le cadre d’une avancée des armées alliées
et pas d’une opération spécifique et expresse
(2) Cf. mon livre Les frontières d’Auschwitz, les dérapages
du devoir de mémoire, Hachette Livre de Poche, Biblio-Essais,
2005
(3) En fait les bénéficiaires objectifs de la «
mémoire de la Shoa » sont les Palestiniens.
(4) C’est ce qui explique que les tenants de cette idéologie
sont congénitalement aveugles à l’antisémitisme
islamique et à celui de l’extrême gauche. La menace
ne peut venir que de la droite...
(5) Dans le jeu de chaises musicales de cette idéologie, ce
sont les Palestiniens qui représentent l’Israël
selon l’esprit face à l’Israël selon la chair
de la Shoa (chair cadavérique, relique sacrée, c’est
la différence par rapport au passé lorsque la chair
était maudite et corrompue).
Le
concept de "pogrom médiatique"
Par
Shmuel Trigano 27 janvier 2009
Le concept
de « pogrom médiatique », malgré sa tonalité
critique virulente, pourrait bien avoir une valeur heuristique intéressante
pour comprendre certains des effets de la guerre de Gaza sur les pays
d’Europe de l’Ouest et tout spécialement la société
française. Il ne faudrait bien sûr pas l’entendre
dans sa portée idéologique mais sociologique.A
quoi a-t-on assisté en effet avec la guerre de Gaza, comme
avec la précédente guerre du Liban, ou la deuxième
Intifada, sinon à un épisode d’extrême violence
symbolique envers Israël, particulièrement effervescent
par son émotionnalité, la virulence radicale de la condamnation,
la stigmatisation, l’unanimité étrange d’un
bout à l’autre du spectre politique ? Le pogrom était
un bref embrasement d’une population qui dévastait le
quartier juif et tuait les Juifs. Point
n’est le cas, heureusement mais, de fait, les Juifs se sentent
déshonorés, méprisés, abandonnés,
exclus, isolés dans leur environnement. Comme s’ils avaient
été roués de coups réels. Ils le sont,
certes, d’une certaine façon, par les agressions dont
ils ont été la cible. Le passage du symbole à
l’acte s’est produit à travers de grandes et violentes
manifestations, répétitives, organisées selon
un plan manifestement prémédité d’envergure
nationale, visant à créer une atmosphère d’émeutes.
Des actes d’agression ont été perpétrés
contre des Juifs mais c’est surtout leur personne symbolique
qui a reçu des coups. La dignité et l’image de
soi font aussi partie de la personne humaine qui n’est pas seulement
corporelle. C’est
elle qui a été la cible du pogrom médiatique.
Et les traits qui l’ont frappée sont d’un genre
unique. La morale et l’humanitarisme ont été fourbis
comme des armes. Propres. Morales. Totales. Le discours de la cruauté
d’Israël, mis en scène par le Hamas et les télévisions
arabes, a été asséné soir et matin en
crescendo de l’appel fébrile à sauver un peuple
d’un génocide. A Gaza il n’y avait qu’une
armée d’enfants, des hôpitaux, des réserves
de vivres, des centrales électriques...
Nous touchons là à l’essence de la violence perpétrée
sur la personne d’Israël. Elle est vertueuse ! Plus le
souci des « enfants » et des « civils » est
« disproportionné », plus fort et radical est le
coup (symbolique) porté. Plus Israël est stigmatisé
et diabolisé. Pour des motifs humanitaires ! Le coup est ainsi
moral et « clean » car il frappe « à côté
».. L’iconisation
quasi religieuse des enfants victimes vise à la déshumanisation
des Juifs. Les téléspectateurs savent tout de telle
ou telle famille palestinienne dont on leur raconte l’histoire
humaine, très humaine. Ils savent tout des blessés,
des enfants. Mais rien des individus israéliens, de leurs enfants,
de leurs femmes, de leurs blessés. On ne voit sur les écrans
que des tanks, des soldats, une armée. La société
israélienne n’existe pas dans le regard des médias.Ce
souci « humanitaire » s’inscrit très bien
dans la perspective idéologique plus vaste qui sacralise la
mémoire des Juifs morts au moment où l’on accable
les Juifs vivants. On aura remarqué qu’au moment même
où ils traînaient dans la boue Israël, sa cruauté,
son racisme, les journalistes ont dûment condamné le
pape pour avoir reconnu un évêque négationniste...Israël
est sur la sellette mais il est clair que le traitement « disproportionné
» dont il est l’objet concerne le Juif que l’on
cible en lui, de façon détournée. Quel pays au
monde s’attire en effet cette furie planétaire ? C’est
une guerre de religion qui est ici à l’oeuvre et l’Europe
s’y inscrit ouvrant la boite de Pandore de bouleversements qui
la submergeront.La
question juive est de retour, de façon inédite. Les
événements consécutifs à Gaza, notamment
en France, rééditent les troubles qui ont accompagné
la deuxième Intifada. La récurrence du même phénomène
confirme que la crise d’alors n’était point passagère.
Cependant, aujourd’hui, on est en droit de se poser la question
de savoir où elle conduit. Un pogrom symbolique est en soi
sans grande gravité concrète, si ce n’est la déstabilisation
et l’égarement des Juifs d’Europe. Il n’y
a pas mort d’homme (sauf qu’il peut donner lieu à
la tragédie d’un Ilan Halimi ou d’un Sébastien
Sellam) mais mort d’images. Le
pogrom symbolique recèle en lui la potentialité de développements
graves. Il peut être la première étape de voies
de fait, elles, bien réelles. Un mouvement social (et l’antisémitisme
en est un) commence par une fiction (la cause palestinienne), qui
substitue un objectif imaginaire à une réalité
insupportable (les problèmes du monde arabe et des musulmans
d’Europe). Puis cette fiction donne naissance à une mentalité
qui prend le but substitué pour slogan, pour devenir un emblème
autour duquel un nouvel ordre se structure et une organisation qui
lui est dévouée apparaît. Aujourd’hui,
la porte est ouverte à la troisième étape, celle
de la cristallisation, avec la constitution d’une organisation
quelconque qui pourra partir à l’assaut de sa cible.
Nous entrons dans une phase dangereuse. La question est très
concrète : à quand la prochaine explosion collective
contre Israël ? Le prochain pogrom médiatique ? Et avec
quelles conséquences concrètes sur la personne physique
des Juifs ou d’Israël, dans l’arène planétaire
?
Les
parias magnifiques
par
Shmuel Trigano 19 janvier 2009
La guerre
de Gaza et son impact sur l’opinion publique donne à
voir avec un réalisme terrifiant ce que le monde a dans l’âme
quand il pense à Israël et au peuple juif. L’attitude
de la « communauté internationale » est particulièrement
significative, à ce propos. Une cécité totale
à la réalité de la situation s’accompagne
d’un « souci humanitaire » qui ne s’est que
très rarement exercé durant le calvaire des Israéliens
( 7 ans de tirs de missiles sur le sud d’Israël et la progression
inquiétante de ce canardage vers les centres vitaux du pays,
la constitution d’un pouvoir totalitaire, de style fasciste,
promoteur de haine et de mort, l’enrôlement et l’embrigadement
de toute une population au service de la politique impérialiste
de l’Iran intégriste sur toute la région et la
haine permanente).
La décision
de cessez le feu du Conseil de sécurité fut très
significative de l’état d’esprit ambiant envers
Israël. Si l’on observe bien l’histoire du conflit
israélo-arabe, on constate que toutes les victoires militaires
d’Israel, remportées contre des agressions arabes, ont
été annulées par la politique des puissances
et notamment l’ONU, j’ajouterais tout spécialement
la France. Ces victoires auraient pu à chaque fois constituer
un point final du conflit, obligeant les Etats arabes à assumer
la défaite de leur ambition exterminatrice à l’égard
d’Israël, comme celà se passe dans tout conflit.
Bien au contraire, les puissances occidentales ont tout fait pour
empécher une telle situation. Il fallait empécher «
l’humiliation arabe » (rappelons qu’elle découle
de l’existence d’Israël)...
Que laissait
entrevoir la demande de cessez le feu dans l’opération
de Gaza sinon la volonté qu’Israël accepte de rester
la cible de son ennemi le plus implacable sans réagir, sinon,
qu’Israël renonce à sa souveraineté politique
pour confier son destin à un consortium onusien où le
camp qui lui est ennemi occupe le haut du pavé et qui ne s’occupe
du sort des Israéliens que lorsqu’il en a le temps ?
Derrière ce décor de théatre décadent
une perversité morale gigantesque est à l’oeuvre
qui voue les Juifs à la condition de victimes éternelles.
La « communauté internationale » veut-elle sauver
le Hamas et lui redonner la possibilité de viser les centres
vitaux d’Israël qu’elle ne s’y prendrait pas
autrement.
Le souci
humanitaire est un principe auquel il ne faut pas renoncer et tout
montre qu’il est loin d’être absent de l’action
israélienne mais il s’agit d’une guerre et pas
d’une promenade. Si le Hamas a été « élu
», c’est aussi parce que les Gazaouites font corps avec
sa politique. Pourquoi n’en supporteraient-ils pas les conséquences
désastreuses ? Pourquoi les populations civiles de tout coeur
et de tout corps engagées dans la lutte contre « les
Juifs » (c’est ainsi que les Israéliens sont appelés
à Gaza) échapperaient-elles à leur responsabilité
? Seraient-ce parce qu’elles seraient par principe innocentes
? Personne n’évoque les « populations civiles »
israéliennes, à croire que tout Israël est un camp
militaire et qu’à Gaza, il n’y a que des civils.
On ne voit d’ailleurs qu’eux à la T.V. Qui tirent
les roquettes et les missiles ? Qui se demande pourquoi les cameramen
palestiniens et arabes qui abreuvent le monde de scènes sanguinolentes
n’ont jamais montré d’hommes en armes ?
Comment
les médias occidentaux ont-ils pu gober, sans états
d’âme, ce compte rendu manipulatoire, où le décompte
des victimes est celui du Hamas ? Telle est la vraie question et le
coeur du problème.
Il faut
remarquer à nouveau que le syndrome qui s’est développé
en France à l’occasion de la deuxième intifada
est à l’oeuvre, quand le gouvernement Jospin a demandé
aux Juifs de ne pas réagir aux 450 agressions dont ils étaient
victimes « pour ne pas jeter de l’huile sur le feu »...
Demande était faite alors aux Juifs français d’accuser
le coup de l’agression envers eux en silence pour sauver «
la paix publique ». C’est exactement ce que fut le syndrome
munichois de l’opinion européenne face au régime
nazi : apaiser l’agresseur en sacrifiant la victime. A la même
époque, faisaient rage en Europe pourtant la compassion universelle
pour les victimes de la Shoa et la célébration de leur
mémoire. C’était une conjonction de contraires
absolument nouvelle, mariant l’excellence morale des Juifs à
leur déchéance sociale et politique.
Un profil
nouveau du « Juif » se mit en place , à l’oeuvre
en fait subrepticement depuis les années 1990 mais qui se confirme
depuis lors de plus en plus et que je définirais, en me souvenant
de la pensée de Georges Bataille, comme le profil du paria
magnifique, c’est à dire la figure d’un homme révéré
et célébré mais vivant dans la condition la plus
misérable, dans l’exclusion quasi sacrée, au statut
très bas. Prestige combiné à abaissement. Ces
personnages ont existé dans toutes les sociétés,
cristallisant à la fois le contraire de l’ordre social
et symbolique et en même temps sa source la plus forte. C’est
autour de leur condition abaissée que les sociétés
se réunissent dans des périodes de crise pour se souvenir
qu’elles sont humaines, par delà leurs conflits de pouvoir
et de prestige. Or, pour que celà soit possible il faut impérativement
que le paria magnifique reste au plus bas, en l’occurence qu’il
renonce à sa souveraineté et à sa capacité
de se défendre, qu’il continue à s’exposer
passivement aux attaques de ses ennemis. C’est la condition
de sa sacralité. Pourvu qu’il se conforme au rôle
consensuel auquel il a été assigné : à
la condition de victime, hier, aujourd’hui et demain.
Tel est
le schéma psycho-symbolique qui porte la décision du
Conseil de sécurité, un schéma que l’on
retrouve à l’oeuvre dans beaucoup de formes culturelles,
prépondérantes aujourd’hui, où le Juif
est valorisé dans sa propre contrition, dans la haine de soi,
dans l’aveu. Une partie du cinéma israélien, si
célébré en Occident, s’inscrit dans ce
créneau, condition du succès. Ce schéma, De Gaulle
l’avait très bien exprimé avec sa sortie sur «
le peuple sûr de lui et dominateur », assignant aux Juifs
le rôle de la victime passive comme condition de la miséricorde
européenne. « Un capital considérable d'intérêt
et même de sympathie s'était accumulé en leur
faveur, surtout, il faut bien le dire dans la Chrétienté;
un capital qui était issu de l'immense souvenir du Testament,
nourri par toutes les sources d'une magnifique liturgie, entretenu
par la commisération qu'inspirait leur antique malheur et que
poétisait, chez nous, la légende du Juif errant, accru
par les abominables persécutions qu'ils avaient subies pendant
la Deuxième Guerre mondiale... Si Israël est attaqué,
lui dis-je alors en substance, nous ne le laisserons pas détruire,
mais si vous attaquez, nous condamnerons votre initiative »
.
Cette
condition de « paria magnifique » a été
vécue en France, dès la fin des années 1990,
par quelques « intellectuels juifs ». Magnifiques, par
principe, par leur activité et leur statut social mais exclus
en douce de toutes les arènes du débat public et de
la respectabilité intellectuelle, ramenés à leur
origine « ethnique », comme la chose devint évidente
durant la deuxième Intifada , pour annuler leur argument et
surtout leur identité d’intellectuels. A moins que pour
quelques rares individus, voire un unique intellectuel - en vertu
non d’un droit mais d’un privilège - la fonction
de conscience malheureuse et déchirée ne leur soit asignée
sur tous les écrans et dans tous les journeaux. Cette configuration
est tout à fait différente de celle qu’analysait
Hannah Arendt pour la modernité quand elle remarquait que les
intellectuels juifs, pour être admis dans la bonne société
et le cercle intellectuel, avaient deux possibilités, celle
de se comporter comme des parvenus , en trahissant, bien qu’avec
une nostalgie inextinguible, leur appartenance au peuple juif, ou
comme des parias, s’ils restaient fidèles à eux
mêmes. Kafka, à ses yeux, fut le modèle du paria.
Le monde devient de fait, aujourd’hui, kafkaïen pour les
Juifs, accusés du crime que leurs ennemis commettent ou veulent
commettre sur eux, sans que leur parole ne porte, sans que la foule
en fureur ne prenne soin d’examiner les faits rationnellement
et les responsabilités. Malgré son rang social, l’intellectuel
juif se voit annulé dans sa fonction d’intellectuel et
étiqueté, enfermé dans la case « communautaire
», c’est à dire, dans l’esprit de tout le
monde, « communautariste ».
Ce système
de rapports ne fait en vérité qu’ajouter de l’huile
sur le feu, car les transgresseurs sont exemptés de leur responsabilité
et reçoivent un encouragement à leur comportement déviant.
Mettre dos à dos Hamas et Israël, expliquer la violence
par le « cycle de la violence » pour le Moyen Orient ou
les « « conflits inter-communautaires » pour la
France (c’est à nouveau le cas aujourd’hui), c’est
choisir programmatiquement d’innocenter les coupables, en courant
de surcroît le risque de les amalgamer avec leur « communauté
», et d’accuser la victime d’être responsables
de ce qui lui arrive. Il n’y a jamais eu d’agressions
des Juifs contre des sites musulmans en France et Israël, qui
s’est retiré de Gaza et a enduré durant 7 ans
des tirs de missiles du Hamas sur son territoire sans riposter.
Il semble
que personne n’ait encore compris que cette problématique
se retourne inéluctablement contre la société
qui s’en rend coupable, nationale ou internationale. Le déni,
durant de nombreux mois, des actes antisémites des années
2000 annonçaient et légitimaient dans le principe les
émeutes des banlieues françaises. Le même comportement
aujourd’hui annonce d’autres événements
graves dont toute la société française (et internationale)
aura à pâtir.
Un cercle
vicieux s’installe aussi indirectement qui ne peut que «
jeter de l’huile sur le feu ». La célébration
formelle de l’excellence de la figure (victimaire) des Juifs
( devoir de mémoire de la Shoah obllige !) ne peut que susciter
jalousie et ressentiment chez leurs ennemis, dans un premier temps,
qui appelle, dans un deuxième temps, la tentative des célébrateurs
de « calmer » leur ressentiment en tentant de rétablir
« l’équilibre » psycho-symbolique en abaissant
encore plus la condition des Juifs, en les enchainant encore plus
à leurs ennemis.
C’est
un retour régressif à un passé révolu
qui se produit ici. Il est possible que des Juifs soient prêts
à endosser à nouveau les habits de la victime désignée
– ces personnalités se produisent même sur toutes
les scènes (et pour cause) – mais il ne faut pas négliger
la révolution mentale qui s’est produite il y a 60 ans
dans la conscience juive : le sionisme, projet de libération
du Juif qui se propose d’ériger le peuple paria en sujet
souverain de l’histoire. La mauvaise foi planétaire se
brisera sur cette nouvelle donne.
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