Il ne faut pas
recourir à des périphrases. L’affaire dite de
« la flottille » nous a donné la triste occasion
d’assister à une crise antisémite virulente qui
a pour spécificité de n’avoir embrasé,
pour l’instant, que l’opinion, quoique ici où là
aient pointé des velléités d’agression,
heureusement inabouties. Par opinion, j’entends les médias,
les manifestations sur la voie publique, l’unanimité
du discours public tant du côté des leaders d’opinion,
qui se relaient de plateaux TV en plateaux TV, que du côté
des hommes politiques.
Cette crise est
cyclique : elle se reproduit épisodiquement (Djénine,
Gaza, etc.), c’est à dire que la potentialité
de l’explosion est latente et permanente, ne demandant qu’une
occasion de l’actualité pour se matérialiser.
C’est une véritable bombe à retardement et la
question urgente que les autorités doivent se poser très
sérieusement est de savoir ce qu’elle annonce comme événement
grave. Il y a en effet une forme de répétition générale
dans ces explosions périodiques. Un climat se crée;
un paysage se met en place dans lequel le passage à l’acte
se produira naturellement. Depuis 10 ans, nous assistons à
la progression de cette évolution sans avoir réussi
à convaincre la société nationale de sa gravité.
Nul doute qu’avec la pseudo « flottille » nous avons
franchi une nouvelle étape qui lève l’ambigüité
des discours en demi-teinte.
La spécificité
de cet antisémitisme tient à ce qu’il prend Israël
pour cible tout en ayant une portée directement locale. Ainsi,
les courants de l’immigration, qui se livrent à des manifestations
de rue, utilisent-ils la cause palestinienne pour s’affirmer
sur la scène politique française. Ainsi, des partis
marginaux comme les Verts et les Communistes contribuent-ils intentionnellement
à enflammer les esprits pour se renflouer. Ainsi, des hommes
politiques comme de Villepin utilisent-ils l’hostilité
à Israël pour se promouvoir, exactement à la façon
de Dieudonné : une sortie sur Israël vous procure du charisme.
Le lendemain de ses paroles violentes sur France 2, il visitait les
« jeunes » de Saint-Denis et leur adressait un discours...
D’autres expressions radicales témoignent par ailleurs
de cette étape, comme celles de Roland Dumas, ou le livre de
Régis Debray qui met en cause les Juifs de France pour leur
identification à Israël.
Les foyers de
ce nouvel antisémitisme ne concernent donc pas uniquement les
milieux de l’immigration et de l’islam mais aussi l’ensemble
du réseau médiatique qui ne fait qu’attiser l’hostilité
en créant un climat de scandale permanent.
A quoi sert pour
les pouvoirs publics de lutter contre l’antisémitisme
si cet embrasement se produit en roue libre ? On se demande d’ailleurs
ce qu’ils peuvent faire dans une société que nous
croyions libre et démocratique mais dont cette unanimité
violente ne vérifie pas la réalité concrète.
L’opinion est en proie à une idéologie, une croyance
de type quasi religieux. Les efforts d’information, de raisonnement,
de démonstration ne suffisent pas à déraciner
les idées fausses qui la structurent. Un réel fantastique
s’est superposé à la réalité, ruinant
toute interpellation.
Dans les commandos
des organisations pro-palestiniennes (pour le boycott) on trouve de
jeunes militants mystiquement convaincus, qui ne sont pas tous –
loin de là - originaires de l’immigration. Dans le moindre
coin de France, vous avez un « Comité Palestine ».
C’est dire la profondeur de la foi palestiniste.
Cet engagement
mystique rejoue cependant, sans cesse, la même scène
qui repose sur des mythes archaïques. Tous ces scandales promus
au nom de la morale, toutes ces condamnations fustigeant l’inhumanité
des Juifs, leur violence cruelle envers les enfants (ainsi l’expression
d’« assaut meurtrier contre la flottille humanitaire »,
sans doute forgée par l’AFP, met en réseau symbolique
le « meurtre » et « l’humanité »),
toute cette réprobation se rejouent de façon très
archaïque la scène du déicide et de la Passion,
du meurtre rituel qui lui est lié.
Quel spectacle
60 ans après la Shoah ! Il annonce sans doute l’éclipse
terminale de l’Esprit en Europe.
*A
partir d’une chronique sur Radio J, le11 juin 2010.