La crise
des minarets constitue ce que les sociologues définissent comme
un « fait social total », comme une coupe dans l’épaisseur
de la vie sociale qui permettrait d’en voir les différentes
strates. Est significative tout d’abord la répercussion
de l’événement lui-même que caractérise
un décalage abyssal entre son caractère limité
dans la réalité (la construction de minarets) et l’énormité
de la réaction publique. Cela nous donne la mesure du refoulement
dont est l’objet le non-dit de l’événement.
Cela a pris en effet plusieurs jours pour que les médias reconnaissent
que c’est l’intégration de l’islam en Europe
qui est en question, ce qui reste encore une forme détournée
de poser la vraie question que la majeure partie de l’opinion
tente d’éluder : à savoir celle de la défense
et illustration de l’identité nationale des Etats européens,
qui n’est plus la question de l’intégration de
l’islam mais celle de l’intégration des populations
immigrées.
La meilleure
preuve que l’on peut en trouver est fournie par le débat
sur l’identité nationale ouvert par Eric Besson qui précéda
de peu l’affaire des minarets. On observe que la majeure partie
des positions médiatico-politiques en présence, à
droite comme à gauche, donne une définition républicaine
de la nation – c’est-à-dire une définition
politique, constitutionnelle, juridique, sans substance ni contenu
existentiel. Le démenti opposé à cette définition
par toutes les opinions européennes montre que par «
nation » elles entendent aussi un contenu culturel et identitaire,
la nation des clochers et de la Princesse de Clèves, c’est-à-dire
un paysage culturel hérité du passé. L’intérêt
du vote suisse c’est qu’il se manifeste à l’occasion
d’un vote démocratique et pas dans la violence de l’idéologie.
Et ceux qui font à chaque instant profession de foi démocratique
se retrouvent tout simplement ridicules à condamner ce vote-là.
La démocratie, c’est uniquement pour soi et pas pour
les autres ?
C’est
cette définition de la nation qui ne se résume pas à
la citoyenneté qui est aujourd’hui au centre des débats,
mais qui n’est quasiment jamais mise sur la table, alors que
c’est par là que commencera l’intégration
des populations immigrées, avant celle de l’islam qui
devra nécessairement se réformer comme le firent Juifs
et chrétiens au début du XIXème siècle.
A ce
propos, revenant d’une série de conférences en
province, j’ai constaté qu’une grande partie de
l’opinion juive ne comprend pas ce que les instances représentatives
du judaïsme français sont allé faire dans cette
galère en prenant position pour les minarets. On est confondu
devant l’absence d’analyse et de sens politique, et la
conception qu’on se fait du rôle de « représentant
». Les Juifs sont-ils menacés ? Les synagogues sont-elles
en question ? L’intégration des Juifs dans la nation
pose-t-elle problème ? Quelle réciprocité les
instances de l’islam en France ont-elles manifesté envers
la communauté juive dans des occasions bien plus graves, surgies
de son sein même de surcroît ?
La réaction
que les médias attendent de la communauté juive, voire
la sollicitent, et à laquelle répondent les instances
juives n’est pas nécessairement conforme à ses
intérêts politiques.