Une conjonction
très significative de deux événements médiatiques
s’est produite cette semaine sur des chaînes du Service
Public : sur FR 2, le mardi 9 mars 2010, la grande soirée consacrée
au récent film « La Rafle », et sur FR 3, le lendemain,
l’émission « Ce soir ou jamais », consacrée
au « Tribunal Russell sur la Palestine » (1).
Le contraste
entre ces deux émissions est saisissant mais – ce sera
ma thèse – les deux « messages » qu’elles
émettent à destination de l’opinion font système,
c’est à dire qu’ils s’adossent l’un
à l’autre et ne font entendre qu’un seul et unique
message, que le titre de ce blog résume (2).
Premier
message sur FR 2 : les Juifs sont victimes de la trahison
de l’État français mais ils témoignent
– malgré tout – de leur fidélité
à la France parce qu’il y a eu des justes : c’est
de leur témoignage que la France tire sa continuité
morale (à droite comme à gauche, on va le voir) (3).
L’extraordinaire promotion dont ce film commercial a bénéficié,
non seulement à la télévision mais aussi dans
la presse, atteste qu’il y a là plus que la réussite
exceptionnelle d’une stratégie publicitaire : un événement
social d’importance dont la portée doit être questionnée.
Le témoignage
des Juifs présents sur le plateau, dont deux hommes politiques,
Pierre Moscovici (PS) et Jean François Copé (UMP), victimes
directement ou non de la rafle du Vel d’Hiv, donnait le «
la » : de l’épreuve, ils tiraient un amour indéfectible
pour la France, au service de laquelle ils s’étaient
mis en s’engageant dans la politique. C’est donc dans
l’abnégation de leur souffrance comme « Juifs »
qu’ils trouvaient une raison d’être à leur
existence et à l’innocentement d’une France que
l’émission présentait au départ comme coupable.
La confession de cette judéité offerte à la façon
d’un sacrifice fut le moment le plus fort de ce qui devenait
dès lors une grand-messe nationale. Notons au passage que les
deux hommes politiques ne se sont senti la force et la légitimité
d’évoquer leur légitimité – qu’ils
ne célèbrent pas en général – qu’à
l’ombre de ce sacrifice.
Deuxième
message sur FR3 : Les Israéliens sont coupables
au nom des droits de l’homme et de la morale ; cette émission
où les opinons sont censées se confronter consacre la
plupart de ses séances à Israël et aux Juifs. C’est
la tribune d’expression favorite de Tarik Ramadan, de Dieudonné
et de toute la galaxie des post-sionistes, antisionistes et post-modernistes.
A l’inverse de FR 2, ici, les Juifs n’apparaissent que
comme coupables par principe. Ce sont effectivement des Juifs français
qui se voient convoqués pour défendre Israël et
le sionisme. Autant dire que les Juifs sont toujours cités
à comparaître. Devant un tribunal improvisé où
il n’y a ni président, ni droits de la défense,
et où le chef d’accusation n’a pas été
clarifié (4). Leur prise de parole est déterminée
avant même qu’ils n’ouvrent la bouche et le meneur
de jeu construit habilement des panels où ils sont minoritaires
dans un débat dont ils ne posent pas l’ordre du jour,
ce qui reste l’apanage de leurs adversaires. Il faut signaler
un dispositif rhétorique structurel qui consiste (sur tous
les plateaux du Service Public) à opposer des Juifs entre eux
pour que la condamnation que l’on veut faire passer soit lavée
du soupçon d’antisémitisme et que l’exécration
d’Israël apparaisse comme une condamnation émise
au nom de la morale universelle par des Juifs qui se seraient «
élevés » au dessus de leur morale tribale, ce
qui assigne autres les Juifs à une position forcément
communautariste, intégriste. Sioniste pout tout dire (5). C’est
le phénomène des Alterjuifs auquel Controverses
a consacré une étude approfondie. (6).
La
synergie. C’est en fait le même discours
qui est tenu par les deux chaînes. La leçon qui est tirée
de la Shoah – et dont les Juifs sont appelés à
assumer sacrificellement les conséquences - fonde de facto
la condamnation d’Israël. Et, puisque l’on rend un
culte à la mémoire de la Shoah, elle l’autorise
en la purifiant de toute accusation d’antisémitisme.
Ce sont bien des Juifs français qui sont
effectivement invités sur les plateaux pour le défendre,
et la présence des Alterjuifs pour que celà ne soit
pas trop manifeste ne trompe personne.
Les « bénéficiaires » immédiats de
la compassion pour la Shoah sont les Palestiniens et plus largement
les immigrés (7). C’est au nom du « plus jamais
çà » qu’on exalte leur cause, qu’on
accuse l’État de fascisme pour le paralyser, ou la nation
de raciste, en libérant ces derniers de toute responsabilité
sur des actes éventuellement répréhensibles.
Ils sont par principe pacifiques, altruistes : reportez vous au discours
devenu odieux du « politiquement correct ». L’émission
sur la Rafle autorise celle sur le « Tribunal » Russel.
Avec, en passant, les bénéfices collatéraux de
l’accusation d’une communauté juive qui abuse avec
sa mémoire de la Shoah !
En somme,
les Juifs sont célébrés quand ils sont morts
ou prêts à se sacrifier et vilipendés quand ils
ont l’audace de trop exister et d’être souverains,
tandis que leurs ennemis et agresseurs sont par principe innocents.
C’est donc la morale qui est instrumentalisée (8), une
situation qui ne peut qu’engendrer la violence.
Responsabilité.
Des émissions comme celle des FR3 posent la question de la
responsabilité du Service Public. Les médias, par définition,
contribuent à former l’opinion publique et l’on
est en droit de se demander si l’idéologie qui semble
inspirer le Service Public ne contribue pas à répandre
les germes de la violence et de l’antisémitisme. L’obsession
d’Israël dont les médias font leur spectacle quotidien,
en oubliant le Darfour, le Sri Lanka, les Coptes d’Égypte,
les chrétiens du Nigéria, les violences du Hamas et
de l’islamisme, l’enseignement de la haine de l’Autorité
Palestinienne et le traitement pervers des questions du Moyen Orient
ne contribuent-ils pas à instiller le germe de la haine ? Et
notamment dans l’opinion issue de l’immigration musulmane,
par ailleurs abreuvée du discours violent des chaînes
satellitaires arabes. On pourrait remonter aussi loin que le traitement
de l’affaire Al Dura par FR 2 qui a ressuscité l’accusation
de crime rituel dans l’imaginaire collectif.
Cette
situation ne se retrouve que dans le Service « public »
et pas dans les chaînes privées. Il faudrait par ailleurs
étudier de près la manipulation des symboles ethnico-identitaires
à laquelle se livrent les rédactions de chaînes
publiques pour se demander si il n’y a pas là une politique
concertée.
Un tel
discours a contribué à installer une réalité
imaginaire d’Israël et des Juifs qui est devenue toute
la réalité pour le Français moyen qui n’a
pas d’autres sources d’information, tendant désormais
un voile opaque et déformant sur la réalité concrète
La responsabilité
du Service Public est gravissime. Où est le public ? Où
est le Bien public ?
Notes
:
1 - Quoique son
titre annoncé concernait la justice et le droit international,
quasiment tout le débat fut consacré aux « crimes
» d’Israël. En fait, la raison de l’émission
était de faire de la publicité au « Tribunal
Russell sur la Palestine ». J’ai décliné
l’invitation qui m’était faite car je n’ai
aucune raison de faire de la figuration dans cette parodie de «
Tribunal ».
2 - Et dont la logique est analysée en détail dans mon
livre Les frontières d’Auschwitz, Les ravages du
devoir de mémoire, Biblio-Essais, Livre de Poche-Hachette,
2005.
3 - L’émission, en elle même, était au demeurant
intéressante, sobre et bien menée et je ne me prononce
ici en aucune façon sur la qualité du film en question.
4 - Ce qui est le cas du pseudo « Tribunal Russell » qui
s’apparente aux tribunaux populaires des révolutions
totalitaires dont l’activité unique fut de couper des
têtes. C’est un coup de force idéologique que d’appeler
ces conciliabules « tribunal ». Nous assistons là
à une véritable manipulation de la notion de justice
internationale.
5 - Bien évidemment, depuis 10 ans, ils ont les faveurs de
toutes les tribunes tandis que les autres intellectuels juifs sont
soit systématiquement écartés ou occultés
soit conviés en tant qu’accusés. C’est ce
qui a contribué à approfondir le sentiment d’exclusion
des Juifs qui a conduit quelques milliers d’entre eux à
quitter la France pour des cieux espérés plus cléments.
6 - Cf. n°4, Février 2007, à consulter à
l’adresse : http://www.controverses.fr/Sommaires/sommaire4.htm
7 - Ce fut accablant d’entendre Rose Bosch, lors du lancement
de son film dans le cadre du Journal de FR 2, se féliciter
du choix de Gad Elmaleh, acteur vedette, dont elle craignait au départ
« les gestes de la main » si peu ashkénazes (dixit)
et qui sût s’en sortir parfaitement. Sans tomber dans
l’excès d’interprétation, le choix, pour
jouer ce rôle, d’un acteur comique et d’un Juif
né au Maroc a un sens subliminal qui échappe sans doute
à la réalisatrice. Convier un Juif originaire des pays
arabes à jouer un rôle qui met en scène une exclusion
des Juifs de France est doublement significatif si l'on se souvient
que la judaïcité sépharade, dont il est originaire,fut
exclue ou explusée de 10 pays musulmans Si l'on met en rapport
ce fait avec l'occultation courante qui touche cette histoire, ce
casting renforce indirectement l'innocence du monde arabo-musulman,
en rapport avec la Shoah, et s'inscrit dans le retournement de la
Shoah contre Israël au bénéfice des Palestiniens.
8 - Nous avons démontré dans Controverses,
en 240 pages combien le « Rapport Goldstone » censé
authentifier les crimes contre l’humanité et les crimes
de guerre d’Israël relevait de la falsification juridique
au service d’une des parties du conflit.